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A la rencontre de Jean-Paul Viguier

En architecture, quels sont les moteurs de votre réflexion, de votre travail ?

Deux mots sont essentiels, dans l'architecture: absence et limites. Si la nature a horreur du vide, l'architecture ne peut s'en passer : Le vide est source d'émotions. Par opposition aux mouvements architecturaux hi-tech des années 70 qui tendaient à faire comprendre le bâtiment en exposant sa structure, je préfère interpeller l'imagination par ce que l'on ne voit pas. L'architecture se situe dans un double champ : celui de la logique, du concept expliqué et celui de la poésie, de l'inexplicable.

Il faut laisser la magie opérer. Le pavillon de la France à l'Exposition Universelle de Séville avec sa plaque de 540 tonnes fixée à 15 mètres de hauteur donnant l'impression d'être une feuille de papier ou la tour de Chicago dont les 12 mètres de dévers donnent un effet renversant expriment cette émotion : le vide donne un ancrage, une âme, du sens aux bâtiments. D'ailleurs le concept d'atriums nous est cher.

Que représente la question des limites ?

Cette question est au centre des problématiques de ma génération qui a projeté l'architecture dans le champ artistique. Or, c'est en grande partie un malentendu. Un bâtiment n'est pas une œuvre artistique pure, il doit tenir dans des limites. Si l'artiste a le devoir du dépassement des limites, l'architecte doit, lui, tendre vers la limite tout en restant à l'intérieur même si L'agence travaille constamment à repousser ces limites. Par exemple, en mettant les matériaux dans des situations inhabituelles, comme des poutres en verre utilisées comme éléments de structure. Le progrès naît de cette limite en permanence repoussée qui ouvre, à son tour, des champs nouveaux à l'architecture et fait que chaque bâtiment est unique.

L'agence Viguier peut-elle être classée sur un type de projets ?

Nous n'avons pas de spécialité, nous intervenons sur toutes sortes de programmes. Nos références sont autant des bureaux, sièges sociaux, centres commerciaux que des logements, musées ou établissements industriels. C'est une volonté comme, d'ailleurs, celle d'équilibrer notre activité entre les commandes publiques et privées. Contrairement à d'autres, je me sens bien dans le contexte de la commande privée.

Le dialogue instauré avec un vrai commanditaire impulse un véritable élan, décuple les forces. Il me semble que les contraintes, loin d'inhiber la création, en accroissent l'intensité. Dans la commande publique, le seul élan sur lequel on peut compter, c'est le sien propre , celui qui naît de la peur de l'échec et de la stimulation du programme.

Nous continuons aussi, et c'est une volonté, à étudier et construire des logements, art très particulier de l'architecte. Nous sommes ainsi « inclassable » même si notre image s'est imposée après quelques opérations dans deux domaines : les sièges sociaux complexes et les bâtiments modernes à proximité ou à l'intérieur de périmètres classés par les Monuments Historiques. L'opération Pont du Gard, considérée comme un succès international, a démontré la capacité de l'agence à écrire une architecture, sans concession à la modernité, dans des sites très contraints. Depuis, nous avons bénéficié d'une cascade de projets à Reims, Lille, Toulouse, Budapest… et prochainement pour le Palais des congrès de Rouen, face à la cathédrale.

Quel est, de tous vos projets, celui auquel vous restez le plus attaché ?

Pour un architecte, certains projets sont exceptionnels. Construire un Pavillon de la France pour une Exposition Universelle, une Tour dans la rue où sont nés les gratte-ciel à Chicago ou le plus grand bâtiment de laDéfense : Cœur Défense, n'arrivent qu'une fois dans une vie. J'ai pour ces projets un attachement singulier dans la mesure où ils ont représenté une difficulté particulière, un grand moment d'obstination. Je m'y réfère souvent. Ces projets sont devenus des points d'appui, des stimulants de notre réflexion, un encouragement à poursuivre.

Autre bâtiment de référence quoique totalement inconnu, l'hôtel industriel de la rue d'Aubervilliers à Paris 19e (Equerre d'Argent d'Architecture - mention - 1989). Réalisé en 1989, ces 20 000 m² ont été entièrement construits en préfabrication lourde. Quinze ans après, rien n'a bougé. La pérennité et les réponses données dans un cadre de fortes contraintes restent encore valables aujourd'hui.

Comment se situe l'agence à l'international ?

Hormis l'Europe, nous allons, depuis 4 ans, essentiellement dans deux pays: les Etats-Unis et la Chine.
Dans le premier, notre image nous vaut de travailler sur des projets hors champ de l'architecture ordinaire : Tour à Chicago pour Sofitel, musée de San Antonio, Texas et consultations en cours à Boston et Harvard. Je suis fasciné par ce pays où des espaces de liberté pour l'architecture s'ouvrent en permanence mais qui, curieusement, reste conservateur. C'est d'ailleurs, ce qui leur plait chez nous : notre esprit en mouvement permanent pour toujours aller plus loin et notre sens « tendances » (trendsetters)

Le choix de la Chine, répond à une curiosité intellectuelle Professeur Honoraire de l'Université de Tongji, Shanghai, deux commandes de projet m'ont été confiées : le Centre Franco-Chinois pour l'Industrie et le Management et le Centre de Technologies et d'Education Dans ce dernier, ma contribution consiste à ramener les chinois à la modernité à partir du matériau le plus trivial, le bambou. Le bâtiment, en forme de L, est complexe. Chaque niveau tournant d'un quart de tour tous les trois niveaux, le volume résultant apparaît cubique mais avec des grands vides dans les coins, occupés par bibliothèque, médiathèque, jardins… Concevoir une forme complexe, très moderne en utilisant le dernier cri de la technologie mais aussi du matériau très ordinaire reconsidéré comme le bambou nous a autant passionné que les Chinois dans une sorte de fusion des cultures particulièrement stimulante.