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Constructions "titanesques"

Serge Salat, architecte, urbaniste et directeur de projets pour le CSTB, travaille depuis plusieurs années sur l'utilisation du titane dans la conception des bâtiments. Pour lui, cela ne fait aucun doute : tout comme l'aluminium au siècle passé, le titane marquera le XXIe  siècle de son empreinte. Certaines similitudes dans la diversification et la montée en puissance de son utilisation viennent d'ailleurs confirmer cette affirmation. « Vers 1930, l'aluminium faisait son apparition, rappelle-t-il. Il s'agissait alors d'un matériau cher, produit en petite quantité - environ 60 000 tonnes par an -, exclusivement utilisé dans l'aviation et les voitures de compétition. Le parallèle semble évident : c'est à peu de chose près la situation dans laquelle se trouvait le titane il y a quelques années à peine. »

Il aura suffit de quelques décennies pour que l'utilisation de l'aluminium se développe considérablement (20 millions de tonnes produites actuellement chaque année), en particulier dans le monde de la construction. Un chemin là encore suivi par le titane. Celui-ci passe d'un marché confidentiel, limité au secteur militaire et à l'aéronautique, à des applications grand public, notamment dans le bâtiment. Son prix de revient à la fabrication avoisine actuellement 30 US$ le kilo. Un coût qui devrait s'effondrer dans les prochaines années, grâce à la récente mise au point d'un nouveau procédé d'électrolyse directe. « Il s'agit là du dernier métal connu susceptible d'autoriser des évolutions majeures dans le monde de la construction, résume Serge Salat. De plus, il n'arrive pas seul ! Son utilisation va de pair avec un cortège de nouvelles technologies, tant au niveau de l'assemblage, des méthodes de calcul ou de la soudure. Finis les chalumeaux ! Place aux faisceaux d'électrons. »

Propriétés inégalées

Les propriétés du titane - et de ses alliages - en font un matériau de premier ordre dans le domaine de la construction. De par sa densité, il se situe entre l'aluminium et l'acier, mais possède une résistance trois fois supérieure à ce dernier. Son immunité face la corrosion est parfaite. Il ne brûle pas et garde ses propriétés structurelles intactes jusqu'à 600 °C, bien au-delà de l'acier (400°C) et du carbone (150°C). Autre avantage non négligeable : les ressources en titane sont immenses puisqu'il s'agit du quatrième métal présent sur terre. « Ce matériau a fait son apparition dans les constructions japonaises dès les années 70, raconte Serge Salat. En Europe, le musée Guggenheim de Bilbao a été le premier ouvrage de prestige à avoir recours à lui dans son architecture. En Chine, deux tours de 550 m de hauteur avec une ossature en titane devraient bientôt voir le jour. Elles s'ouvriront à leur base en de vastes atriums, comparables au CNIT de la Défense. » La légèreté et la résistance de ce matériau seront également pleinement exploités dans le futur aéroport d'Abu Dhabi. Huit cents tonnes de titane formeront l'immense coque de la toiture avec ses 350 m de long et ses 60 m de portée, le tout renforcé par des poutres triangulaires très fines (30 cm à la base, 60 cm de hauteur et 1 cm d'épaisseur). Un défi impossible à relever avec l'acier ou le béton : le toit aurait alors respectivement pesé 5 400 t pour l'un... et 22 000 t pour l'autre. « Le CSTB travaille actuellement sur la conception d'enveloppes de bâtiments en titane qui aient intrinsèquement leur propre résistance, poursuit Serge Salat. Ce matériau ne doit pas être perçu comme une contrainte : on le "conçoit" en fonction des propriétés, de la texture, voire de la couleur que l'on veut lui donner. » Une révolution culturelle et intellectuelle dans l'art de la conception des bâtiments...