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"Vers un urbanisme durable", François Grether

François Grether a contribué aux activités de l'APUR pendant une vingtaine d'année, en participant notamment à l'élaboration du POS parisien et en assurant la direction de l'aménagement du secteur de la Villette. Il exerce depuis 1992 une activité libérale. Nominé en 2005 pour le Grand Prix d'Urbanisme, il continue de travailler partout en France sur des projets urbains aussi prestigieux qu'Euralille, l'Ile Séguin à Boulogne-Billancourt, Lyon-Confluence ou sur le site des Batignolles, autrefois supposé accueillir les Jeux Olympiques de Paris 2012.

L'agriculture, une composante urbaine

Pour cet architecte, les pratiques de projet sur des fragments de territoire ne se limitent pas à l'appréhension d'une simple partie de ville. Les transformations engendrées, souvent concentrées, peuvent ou doivent avoir des effets à l'échelle de la ville entière. Et la demande en développement durable se fait de plus en plus fréquente. Mais les champs de questionnement du développement durable, a priori nouveaux, ne le sont finalement que sous certains aspects. De nombreux grands thèmes de réflexion des acteurs du projet urbain s'y inscrivent depuis longtemps. « Il y a d'abord la prise en compte des éléments de nature des sites géographiques initiaux ; de la place et du rapport avec ces éléments de nature : le paysage, l'eau, le végétal, le ciel, le temps qu'il fait ou le temps qui passe », explique François Grether, avant d'ajouter qu'Il proposait déjà « d'urbaniser la campagne et de ruraliser la ville » en 1867 dans sa Théorie Générale de l'Urbanisation présentant le plan d'extension de Barcelone. Cette vision avant-gardiste est aujourd'hui pleinement en cours de réalisation. Longtemps, la ville a été définie comme un territoire délimité, opposé au monde rural, à la dimension naturelle. C'était l'époque des villes de pierre, des villes minérales. Mais nous n'avons pas tout à fait fini d'intégrer la disparition des enceintes avec la seconde moitié du XIXe siècle. « Mentalement, il nous faut encore accepter que le Fait urbain ait pris possession de la planète entière. On devrait par ailleurs pouvoir considérer que l'agriculture fasse partie, comme les autres, des composantes urbaines. »

Lorsque la communauté d'agglomération orléanaise a décidé de s'intéresser aux rapports de la ville avec son fleuve, il s'agissait de retrouver une identité urbaine reconsidérant ce qui commençait à lui échapper mais était à l'origine de sa fondation : la Loire. François Grether raconte que l'originalité de l'entreprise tenait à son désintéressement vis-à-vis d'un développement direct à court terme. Il ne comportait pratiquement pas d'immobilier. Il n'avait pas de visée touristique proprement dite. Composé en pleine ville par le Parc de Loire qui englobe le lit du fleuve sur 600 hectares, par des espaces intermédiaires mixtes et par les terres agricoles qui contiennent le débordement des eaux, le projet reposait non seulement sur une quête d'image de marque, "Orléans, ville de la Loire", mais surtout sur l'idée de singularité de chaque lieu.

Ne pas gommer les spécificités

On retrouve la même approche sur le travail de restructuration des grands quartiers sociaux, au nord d'Amiens, situés sur les plateaux agricoles surplombant la baie de Somme. Sur un ensemble urbain homogène, il ne pouvait y avoir la même action partout. La concentration d'équipements et la mixité des programmes en certains points jouant le rôle de foyer de vie local supposait l'acceptation de transformation d'autres parties du même secteur dans un paysage résidentiel plus calme, moins desservi ou moins équipé. Si l'objectif de la restructuration des quartiers nord, habités par le quart de la population amiénoise et gérés par un seul et même bailleur, était leur inscription dans le reste de la ville, y compris en termes de dynamique foncière et immobilière, il ne s'agissait pas de gommer toutes leurs spécificités spatiales ou culturelles. « Le territoire est différencié, reprend François Grether. Tout ce qui tend à banaliser ou à étaler sur le territoire français des démarches identiques est inquiétant. Le rôle de l'urbaniste est de travailler à différentes distances de temps et avec différentes dimensions de territoire. » En d'autres termes, la prise en compte du temps de fabrication de la ville, à courte et longue échéance, et les entreprises de concertation à tous les stades du projet apparaissent comme des fondements indiscutables du développement durable et des pratiques des urbanistes d'aujourd'hui.

Les déplacements en mode doux, les aspects économiques et sociaux et la densité sont évidemment d'autres thèmes importants du développement durable. La question de la densité, cheval de bataille des architectes et des urbanistes, se heurte encore à certaines réticences du public et, paradoxalement, à celles de quelques associations écologistes. La reconquête des friches industrielles de Lyon-Confluence s'appuie sur cette densité bâtie, seule susceptible d'élargir le centre-ville tout en dégageant des espaces dévolus à une trame verte ou consacrés à un authentique petit port fluvial entre la Saône et le Rhône. Dans le cadre d'un projet "qui ne se voit pas", autrement dit capable d'absorber les attentes de demain, François Grether pose clairement le postulat que l'urbanisme, contrairement à l'architecture, ne tend pas vers l'achèvement : « Certains secteurs sont en chantier, d'autres le seront demain. » Parmi ces chantiers en cours, l'opération immobilière qui jouxte la place nautique bénéficie d'un impact médiatique presque plus important que le développement de la ville elle-même. Au terme d'un concours conception-construction, pas moins de cinq architectes travaillent côte à côte sur l'îlot C pour former un bloc parfaitement unitaire, intégrant derrière une façade homogène un programme varié qui comprend des logements en accession à la propriété, intermédiaires et sociaux, un foyer d'handicapés mentaux, des bureaux, et une gestion de l'énergie très exigeante dans le cadre du programme européen Concerto (chauffage bois, capteurs solaires…).

La pollution des sols enfin prise en compte

François Grether l'affirme : des progrès considérables ont été réalisés dans le sens du développement durable depuis quinze ans. Il se souvient qu'il y a deux décennies, la question de l'assainissement de Paris, qui reposait depuis le XIXe siècle sur les acquis hygrologiques de l'ingénieur Marie-François-Eugène Belgrand, n'intéressait pas. Pas plus que la question de la pollution des sols industriels français d'ailleurs. Aujourd'hui, et en dépit des coûts de transformation des terres, « une activité extraordinaire se poursuit sur les anciens terrains de l'usine Renault à Boulogne-Billancourt, où une vingtaine de polluants de natures différentes ont été identifiés après des milliers d'analyses d'échantillons. En tant qu'urbaniste, et dans un rôle transversal en quelque sorte, j'essaie de soulever ces genres de problèmes et de les porter là où peuvent être prises les décisions. Mais un énorme travail global reste à accomplir. Les éco-quartiers ou les quartiers pilotes, quasi-inexistants en France, que l'on taxe souvent de vitrines marginales, ont néanmoins un rôle d'entraînement, de petit laboratoire d'essai qui diffuse des idées et imagine des réponses possibles », conclut-il, avant d'admettre ne pas être particulièrement friand de normalisations sur les problèmes que pose le développement durable, fidèle en cela à son approche "au cas par cas", à la concertation, à cet espace urbain à jamais inachevé et qui se reconstruit sur lui-même, concevant la ville durable non pas comme une réalité d'aujourd'hui mais comme un horizon.