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Jean-Louis Clervil - La parole aux professionnels

Jean-Louis Clervil

La parole aux professionnels

L'apport du CSTB a été majeur s'agissant de son expertise laboratoire et de son accompagnement de ce type d'expérimentations qui sont assez spécifiques.

Jean-Louis Clervil, direction de l'Ingénierie et du Patrimoine, Eau de Paris

Pouvez-vous vous présenter et nous présenter Eau de Paris

Eau de Paris est une entité de 80 personnes qui s'occupe de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre sur l'ensemble du patrimoine lié à l'eau de Paris. C'est une régie autonome financièrement pour assurer les missions régaliennes du service de l'eau : protéger, capter, traiter, stocker, distribuer et suivre.

L'avantage d'Eau de Paris est de disposer d'un patrimoine à la fois historique qui date de la fin du 19ème siècle, mais utilisant des technologies modernes de captation, de transport et de traitement. Nous stockons l'eau dans cinq réservoirs principaux à Paris, pour distribuer l'eau potable à l'ensemble des Parisiens, soit trois millions d'usagers au quotidien. Nous suivons évidemment la qualité de l'eau en permanence, puisqu'elle est contrôlée à dix reprises - par Eau de Paris mais aussi l'ARS - tout au long de son parcours avant d'arriver dans le robinet du consommateur. Nous avons donc un outil formidable pour Paris, qui est particulièrement bien géré dans la cadre de la régie.

Pour quelles raisons eau de paris s'intéresse à la réhabilitation par chemisage pour l'application Eau Potable ?

La réhabilitation est une option que nous avons toujours envisagée, notamment pour des raisons environnementales. Mais cette technique n'est pas appropriée à toutes les situations et pose un certain nombre de questions qui ne sont pas toujours résolues, ce qui fait que dans de nombreux cas, nous préférons faire du remplacement. Les critères qui peuvent faire pencher la balance vers la réhabilitation par rapport à des travaux de remplacement classiques sont bien connus. Il s'agit de ceux présentés par les techniques « sans tranchées » : empreintes environnementale et socioéconomique plus faibles et coût plus compétitif sur la base d'une durée de vie que l'on peut estimer à 50 ans.

Malgré un réseau parisien de 2 500 km qui n'est pas en terre mais à 90 % visitables, nous nous sommes tout de même intéressés à la réhabilitation. Mais il nous fallait lever quelques zones d'ombres concernant les techniques de réhabilitation, notamment sur la durée de vie des rénovations car certaines techniques ne sont pas garanties, comme la projection de résine. Mais aussi s'agissant des connexions en bout de tronçons qui sont assez complexes à réaliser, ou encore des difficultés de mise en œuvre, ou de maintenance à postériori sur ces réseaux.

Le chemisage est une technique qui semble donc intéressante pour des conduites moyennement oxydées, qui ont été systématiquement réparées par le passé au niveau des joints de rapport extérieurs. En effet, le réseau parisien est essentiellement constitué de futs en fonte grise à Paris et qui ont une durée de vie très supérieures à 50 ans, puisque nous venons de qualifier une durée de vie de quasiment 240 ans. En revanche, la fiabilité des joints mécaniques qui sont soumis à des contraintes liées à la vie de la conduite et leurs durées de vie - bien moindres que celles de la conduite - étaient à expérimenter. On peut donc s'interroger sur la pertinence d'une réhabilitation par l'intérieur avec des résines, avec la spécificité de la mettre en place dans des canalisations situées dans des galeries techniques, et non en terre. L'autre sujet concerne évidemment l'attestation de conformité sanitaire (ACS) de la résine, car très peu de résines ont l'ACS. Par ailleurs, la mise en œuvre de ce type de produits dans des conduites situées dans des galeries d'eau et des égouts, pose un certain nombre de problèmes qui n'ont pas forcément encore été résolus par la filière afin de répondre à toutes les sollicitations nécessaires pour la déployer à Paris. Mais nous avons tout de même voulu mettre en œuvre ce chantier expérimental pour essayer de voir quels étaient les coûts induits, les plannings associés et surtout, la tenue de ce type de produit à l'intérieur d'une canalisation qui a plus de 150 ans.

Quel était l'enjeu de réaliser un chantier expérimental à Paris ?

L'enjeu était d'essayer de garantir l'étanchéité des tuyaux par l'intérieur, notamment en mesurant l'élasticité de la résine au niveau des joints, car ce sont eux qui évoluent, et non la conduite. Il fallait donc voir si un décollement se prononçait au niveau des pontages, si les effet de pontage ne créaient pas de fissures, mais aussi vérifier la tenue de la résine après projection en une ou plusieurs couches, pour voir s'il y avait des problèmes de cloquage, de tenue. Et enfin, vérifier comment l'intérieur des branchements était traité par la projection de résine, si cela ne créait pas de lutages de branchements qui empêcheraient l'eau de parvenir jusqu'aux abonnés.

C'est donc particulièrement la technologie des joints qui nous intéressait, puisque la majorité des fuites du réseau parisien sont localisées à ce niveau, les fuites en section courante de fut n'existent quasiment pas à Paris.

Pouvez-vous nous parler de l'apport du CSTB dans le suivi de ce chantier ?

L'apport du CSTB a été majeur s'agissant de son expertise laboratoire et de son accompagnement de ce type d'expérimentations qui sont assez spécifiques. Et notamment, concernant la lecture des échantillons prélevés, le niveau de tests et la rigueur de ces niveaux de test s'agissant des prélèvements effectués sur le terrain, qui garantissent le résultat que doit apporter l'examen des échantillons. En effet, c'est un chantier qu'on ne pouvait pas mener seuls en tant que non-sachants. Nous sommes des sachants du réseau parisien en matière de production, distribution et technicité. En revanche, pour tout ce qui concerne les produits nouveaux et d'apports, nous sommes plutôt un laboratoire à ciel ouvert pour toutes les expérimentations possibles qui concourraient à l'amélioration du service d'eau.

Avoir l'œil de spécialiste du CSTB était donc essentiel pour Eau de Paris, car nous ne possédons pas sa technicité de haut niveau en matière d'expertise laboratoire, qui a permis à Eau de Paris d'être certaine de ne pas de tromper.

Des travaux de R&D doivent-ils être engagés pour améliorer et sécuriser ce type d'opérations ?

En matière de réhabilitation, Eau de Paris ne constitue pas un marché porteur qui permettrait de favoriser le développement de la R&D. Les entreprises sont assez frileuses pour développer de nouvelles techniques et technologies pour un marché tout de même assez contraint et limité au domaine parisien, notamment s'agissant des méthodologies de mise en œuvre dans les égouts, environnement assez particulier. Le caractère très spécifique de notre réseau nous met quelque peu en défaut par rapport au développement de la R&D sur ce type de produits. Nous souhaitons poursuivre l'exploration de ce sujet, mais plutôt concernant d'autres techniques de réhabilitation que la résine, comme les chaussettes ou la polymérisation de produits non-pas pulsés sur les parois de canalisations, mais directement ajoutés dans celles-ci. Mais la question du financement se pose : comment qualifie-t-on ces sujets, comment les introduit-on dans les marchés ? Eau de Paris doit contribuer à faire développer des techniques auprès des entreprises pour satisfaire le réseau parisien, mais sans être propriétaire des droits de R&D. Ce n'est pas notre domaine de compétence, mais nous avons des pistes exploratoires sur ces sujets, car le coût du renouvellement à l'identique est très élevé : coûts des matières, nécessité d'analyser les cycles de vie des matériaux posés et de garantir leur réaffectation dans la chaîne de traitement de déchets. Nous avons besoin d'avoir des certitudes sur l'utilisation de ces techniques et la R&D aidera à développer les produits susceptibles d'être posés dans le réseau parisien interne.

Comment Eau de Paris voit la certification des produits de canalisation ? Peut-elle lui apporter des bénéfices ?

Les normes européennes nous protégeant encore concernant les critères techniques qui pourraient provenir de contrées qui ne respectent pas les conditions techniques normatives de l'Europe, nous nous positionnons plutôt sur des objectifs de performances à atteindre par l'équipement que l'on va poser, de durabilité de cet équipement et surtout, de maintenabilité. Nous souhaitons sortir du cercle vicieux de l'obsolescence programmée des produits que l'on nous propose. En effet, beaucoup d'équipement que l'on a posé à moindre coût et rapidement dans les années 80-90, doivent aujourd'hui être totalement repris. Ce que l'on souhaite mettre en place est une politique du long terme comme l'ont construite les ingénieurs des ponts et chaussées qui ont œuvré à la construction de ce réseau, à savoir construire pour toujours et utiliser des techniques de maintenance appropriées à ces réseaux qui sont faits pour durer.

Vous intéressez donc aux produits certifiés ?

Bien entendu, mais je pense que nous avons encore du travail pour mener une analyse normative et de la certification et la Direction de l'Ingénierie et du Patrimoine (DIP) a pour projet d'ici à 2026, de procéder au référencement de la classification des produits certifiés qui peuvent être utilisés sur les réseaux d'Eau de Paris. Nous avons un peu de retard sur ces sujets, car nous sommes un peu « enfermés » dans notre enceinte parisienne avec nos habitudes de travail sur la fonte, qui constitue 80 % de notre réseau. Mais on ne peut pas fermer la porte aux produits certifiés qui pourraient constituer une réelle valeur ajoutée.