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Carte blanche à Pena & Pena : « l’alternative du paysage »

Michel Pena

Une rencontre avec Michel Pena est avant tout une rencontre avec un paysagiste qui se revendique en tant que tel. « Paysagiste, pas urbaniste », se plait-il à signifier avec un brin de provocation à l’heure où la ligne de démarcation entre le paysage et l’urbanisme se fait toujours plus floue, chacune des parties estimant avoir un droit de regard sur le territoire. « Si je devais faire un morceau de ville, je partirai obligatoirement de l’idée d’un jardin », argumente celui qui réalise aussi bien des chartes paysagères et des parcs que des aménagements d’espaces urbains. « Je me demanderais comment faire un jardin habitable. Je ne partirais pas de l’idée de la ville. En cela, je ne me réclamerais jamais urbaniste. Nous n’avons pas la même position par rapport à l’espace et à la ville. »

« J’aime toutes les tendances »

Mais qu’est-ce le paysage? Comment le concevoir ? Michel Pena explique que 3 courants principaux traversent le paysage français depuis 40 ans. Des courants nés à peu près au même moment et portés par une même génération au premier rang de laquelle on trouve Gilles Clément, Bernard Lassus ou Michel Corajoud. Aux « naturistes » auxquels on associe un discours radicalisé sur la préservation de la nature, il oppose les « culturistes » qui s’intéressent aux relations sensibles entre les choses, et les « structuristes » qui s’intéressent plus particulièrement à l’espace et la structure du territoire. Mais Michel Pena affirme sans ambiguïté avoir besoin des 3 courants à la fois pour mener à bien ses projets : « J’aime toutes les tendances. Je ne sais pas si je me reconnais plus dans l’une que dans les autres ». Ainsi, le parc longitudinal du Paillon, qui couvre 12 hectares dans le centre de Nice, n’a-t-il pas vocation à structurer les différents tissus urbains et à s’affirmer comme un trait d’union entre la mer et l’arrière pays ? La charte du paysage des Hautes Cévennes, qui s’évertue à préserver l’environnement et prône l’intervention minimale, n’est-elle pas aussi un travail sur l’interrelation sensible des éléments du territoire ? L’œuvre de Michel Pena est simple, juste et directe. Une œuvre que résume si bien une aspiration essentielle : « On en enlève plus qu’on en ajoute. On a souvent besoin d’ouvrir, de redonner du ciel, de désencombrer, de donner de l’air. Le principal travail du paysagiste, en définitive, c’est de donner de l’air avant de donner de la verdure. »

« Paysage, erotisme et sensualité »

« Le paysage est une expérience erotique du monde », affirme Michel Pena dont l’agence éponyme, Pena & Pena, réunit une vingtaine de collaborateurs dans le treizième arrondissement de Paris. « En ville, il existe une certaine violence de rapport entre les humains, chauds, mous et mobiles, et l’architecture froide et inerte. Or, il est essentiel de pouvoir jouir de l’environnement, d’avoir une relation affective et affectueuse. Le rôle du paysagiste est de redonner un peu de sensualité aux villes en créant ce système intermédiaire qui procède à la fois des 2 logiques. Celle de l’architecture et celle de l’homme. » Force est de constater que l’un de ses tous premiers projets, le jardin Atlantique à Paris, demeure en la matière un véritable cas d’école. Au milieu des grands immeubles dessinés dans les Trente Glorieuses par l’architecte Jean Dubuisson, et installé sur une immense dalle qui couvre les voies ferrées de la gare Montparnasse, le jardin Atlantique est beaucoup plus qu’un espace vert à la végétation contrariée par les superstructures et autres infrastructures. En organisant l’espace en fonction de la climatologie du site et des contraintes techniques, Michel Pena et son équipe ont inventé des dispositifs qui permettent aussi bien l’intégration des 136 trémies de ventilation que l’instauration d’un dialogue avec l’environnement bâti. « Les arbres de l’espace central sont magnifiques », décrit-il en expliquant que certaines de leurs racines s’aventurent à rechercher eau et nourriture sous les pelouses environnantes jusqu’à 80m de leurs troncs.

Michel Pena parle d’une émancipation nécessaire vis à vis de la question de la nature. Pour le jardin Atlantique, par exemple, on objecte parfois que les saules pleureurs côtoient des pins. « Ecologiquement, ça n’a effectivement rien à voir », admet l’enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. « Sauf que dans notre écologie, autrement dit dans l’écologie sensible et dans l’écologie technique et artificielle, cela devient tout à fait pertinent.» Plus généralement, « l’homme a tellement modifié les conditions premières de la nature qu’il convient aujourd’hui de la considérer sous une nouvelle forme qui concilie les exigences des sociétés et les exigences environnementales. » En d’autres termes, n’y aurait-il pas une troisième nature possible ? Non pas une nature « originelle », ni même une nature à domestiquer et à exploiter, mais une nature résultant d’une vision globale de la planète : « C’est l’enjeu du XXIéme siècle. Sinon, l’homme et la nature risquent de se porter préjudice », prévient-il tout en exhortant sa profession à s’impliquer d’avantage dans les politiques environnementales : « Le paysage de la campagne française ne va pas de soi. Les modifications qu’il va subir suite au Grenelle de l’environnement doivent aussi être regardées dans leurs dimensions culturelles. Autrement, nous risquons de nous retrouver dans la situation des fonctionnalistes des années 30 où l’on imaginait que la relation à l’architecture et l’environnement puisse être strictement réglée par une utilité et une fonctionnalité. »