Archives

Le Mazagran, trait d'union Paris/banlieue

Les portes de Paris sont dans le collimateur de tout ce que le monde de la construction comporte d'urbanistes, d'architectes et de paysagistes. Porte Pouchet, porte d'Aubervilliers, porte de Montreuil sont au cœur des grands projets de développement urbain de la capitale de demain. Avec un postulat : gommer les frontières Paris/banlieue et rétablir le dialogue. C'est aussi le cas de la porte de Gentilly, qui s'inscrit dans ces historiques délaissés de ville désormais objets de toutes les attentions, notamment de la part des politiques qui ont saisi tout leur potentiel urbain.

Carrefour Mazagran, l'ouvrage éponyme s'inscrit au cœur d'un nœud de circulation très dense, emprunté au quotidien par quelque 37 000 véhicules. Ce carrefour ouvre l'accès à Paris et au périphérique. En sens inverse, il ouvre la direction du sud au territoire du Val-de-Bièvre et, notamment, à la vallée scientifique et technologique. Il est parsemé d'infrastructures routières (périphérique, branche A de l'Autoroute A6, Nationale 20), de transports en commun (RER B, bus) et d'importances zones d'activités. Ce carrefour a fait l'objet d'un vaste projet de réaménagement inscrit au croisement de plusieurs opérations urbanistiques d'importance : l'ORU (Opération de Renouvellement Urbain) d'Arcueil et de Gentilly, le stade Charléty et le schéma directeur de la Cité universitaire internationale, ainsi que l'implantation d'une ligne de tramway en rocade sud.

16 000 m², 85 % d'open space

L'ouvrage d'Henri Gaudin apparaît dès lors comme la dernière pièce emblématique de ce vaste projet de réaménagement de l'îlot, aujourd'hui complètement achevé. Pierre angulaire des lieux, l'immeuble accueille sur une SHON de 16 000 m² (dont 85 % en open space) les 650 salariés du siège social du groupe Ipsos et de sa filiale Ipsos France. Cet institut, qui emploie plus de 4 000 salariés à travers le monde dans 40 pays, inaugure ici sa 7e adresse parisienne, quasiment 30 ans après ses débuts rue d'Aboukir en 1975. C'est cependant la première fois que la société passe de l'autre côté du périphérique, s'installant dans un ouvrage qui n'a rien à envier aux plus belles créations architecturales de la capitale.

Il faut dire que la maîtrise d'ouvrage (Bouygues Immobilier) a fait appel à Henri Gaudin, architecte aguerri, déjà concepteur du stade Charléty, de la rénovation du Musée Guimet dans le 16e arrondissement de Paris, de la faculté de droit de Douai, du Théâtre de Lorient ou encore du Conservatoire de Strasbourg. En livrant le Mazagran, Henri Gaudin est en phase avec sa définition de l'architecture : « Penser l'architecture, c'est établir une relation entre l'espace privé et l'espace public, entre l'individu que nous sommes et le citoyen. »

Le Mazagran se compose de deux ailes : la première haute de six niveaux qui vient longer le périphérique et fait face au stade Charléty ; la seconde, plus modeste, sur trois niveaux s'aligne rue Paul Vaillant Couturier côté Gentilly. Ces deux ailes dissymétriques sont réunies par un restaurant d'entreprise de 240 places et la cafétéria. Une large cour intérieure assure une respiration entre les deux corps de bâtiment. L'entrée principale est signifiée par une forme de coque de bateau qui, de nuit, est savamment éclairée de l'intérieur. Une scénographie imaginée par Georges Bern, déjà collaborateur d'Henri Gaudin sur le projet du Musée Guimet.

Trait d'union entre deux paysages urbains situés de part et d'autre du périphérique, le Mazagran apparaît pour l'architecte comme un « élément singulier mais fédérateur d'un site. Le rôle de l'immeuble Ipsos est moins de marquer le seuil, de former une porte que de faire le lien, d'aider au passage, de fédérer, d'être un catalyseur afin de reconstruire le paysage; »

Vu du périphérique, la façade plein nord du Mazagran rue du Val-de-Marne est imposante. Elle évite pourtant l'effet de mur, fréquemment aperçu sur nombre des ouvrages disposés le long du tracé routier. L'usage d'une large façade double peau en verre pincé n'est pas pour rien dans cette prouesse urbaine. Cette technique est la dernière-née des innovations dans le secteur de la façade vitrée. Elle tient tout son intérêt du contraste établi entre hauteur et relative transparence. Non traditionnelle, elle a fait l'objet d'un dépôt d'ATEx qui porte à la fois sur les vitrages, l'accroche et la mise en oeuvre.

550 m² de façade ventilée en verre pincé

Ainsi que l'explique Jean-Pierre Leroux de la société VMT chargée des études, de la fourniture et de la pose de la façade nord, « il existe quatre façons de reprendre un verre : parclosé avec un vitrage qui apparaît comme un élément de remplissage, percé avec un vitrage qui doit être autoporteur, collé avec un vitrage fixé à son cadre ou pincé avec un vitrage repris ponctuellement, comme c'est le cas pour le Mazagran. Ce procédé d'accroche par des pattes ponctuelles qui viennent reprendre en pression et en dépression les efforts évite d'utiliser du verre trempé et ainsi de mettre en œuvre du feuilleté clair recuit. »

La façade consiste en une façade acoustique composée d'une peau extérieure, d'une lame d'air et d'une peau intérieure, sa conception correspondant au procédé de façade double peau ventilée. L'épaisseur de la lame d'air est de 30 cm en R+2 et de 80 cm au R+4. Cette façade avec des pattes non traversantes ferme huit ensembles de façades entrecoupées par cinq failles qui permettent la mise en œuvre d'ouvrants de sécurité dans l'intervalle. La façade, objet de l'ATEx, se situe entre le R+2 et le R+5. Les éléments de verre sont plans au R+2 et bombés entre le R+3 et le R+5. La hauteur globale de la façade est de 12,80 m sur 50 de large. Elle est plus précisément constituée, en R+2, de 32 volumes plans feuilletés 12.15.2 clair recuit d'environ 3,870 m de hauteur et de 1,33 m de largeur ; en R+3 jusqu'en R+5, de 64 volumes bombés feuilletés de 15.15.2 clair recuit d'environ 3,640 m et 5,24 m de hauteur et de 1,33 m de largeur. Au total, 550 m² de façade vitrée pour 733 volumes verriers.

Tous les vitrages, rectangulaires, font office de garde-corps, principalement pour assurer les opérations de maintenance. La façade est fixée sur les ouvrages béton/nez de dalle ou retombée de poutre par l'intermédiaire de consoles métalliques tubulaires boulonnées sur un ensemble de lisses filantes chevillées ponctuellement. Les verres sont repris par des pattes acier formant une fourchette en extrémité. Ils sont pincés par une platine ponctuelle extérieure en inox. Un caillebotis intérieur en appui sur les planchers béton assure l'accès aux opérateurs de maintenance. Le maintien des vitrages est assuré par serrage d'une contreplaque vissée sur les platines d'extrémité des pattes d'attache. Un intercalaire soudé sur ces platines limite le serrage et réalise le support de calage vertical des volumes. Les contreplaques, ainsi que la platine d'extrémité des consoles, sont usinées côté verre afin d'insérer un joint résilient.

Pour la mise en œuvre des volumes verriers, VMT a mis au point une potence spécifique, une sorte de mât cintré capable de bouger perpendiculairement et parallèlement à la façade afin de positionner des éléments dont les plus lourds situés en haut de l'ouvrage peuvent peser jusqu'à 600 kg.