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"De la grotte à la tente : variations" - Rencontre avec Florence Lipsky et Pascal Rollet

Florence Lipsky et Pascal Rollet
Florence Lipsky et Pascal Rollet

Florence Lipsky et Pascal Rollet, respectivement enseignants à l'école d'architecture de Marne-la-Vallée et à l'école d'architecture de Grenoble, ont fondé leur agence en 1990. Leur travail a déjà fait l'objet de nombreuses distinctions : lauréats du Pan Université en 1991, des Albums de la jeune architecture en 1992 et du prix de la première œuvre en 1995, ils ont tout récemment reçu l'Equerre d'Argent pour la Bibliothèque Universitaire des Sciences du Campus de la Source, à Orléans.

En 2001, ils livraient Les grands Ateliers de l'Isle d'Abeau, en Isère, qui constituent un pôle d'enseignement et de recherche sur la construction et qui regroupent six écoles d'architecture, trois écoles des Beaux Arts, deux écoles d'ingénieurs et le CSTB. Leur démarche professionnelle toute entière paraît y être transcrite. Ces grands ateliers de la région lyonnaise permettent aujourd'hui aux étudiants de multiplier les expériences constructives, de la recherche sur l'auto-construction à la réalisation de prototypes.

Comme le signale Pascal Rollet, « on ne passe pas du virtuel au réel simplement. » Le réel, autrement dit l'expérience d'un produit construit, renvoie des informations dont le projet d'architecture doit se nourrir. La fabrication d'un projet d'architecture est un mouvement. Du virtuel au réel et inversement. « Être architecte, c'est être en mouvement de la façon la plus rapide et efficace possible. »

La grotte et la tente : protection et liberté

Cette quête de justesse dans la connaissance et l'utilisation de la matière trouve son prolongement dans une interrogation sur l'architecture et ce qui la fonde. Deux archétypes "archaïques" intéressent tout particulièrement les architectes : la grotte et la tente. La grotte, empilement de matière dont les architectures en voûte ou en dôme semblent dérivées, pour son aptitude à fabriquer une intériorité, un lieu protecteur en retrait de l'agressivité du monde. La tente, assemblage auquel pourrait s'apparenter tous les systèmes constructifs à ossatures, pour son côté éphémère, figure de mouvement, de liberté et de conquête du monde.

En 1988, une petite maison du futur a été réalisée en trois jours pour "Les 3 Suisses" dans l'enceinte de la Halle de La Villette dans le cadre de l'exposition "une maison pour demain". Simple toit à ossature métallique recouvrant une boîte, cette micro-construction non pérenne, puisque destinée à être démontée plus vite encore qu'elle ne fut montée, était l'expression presque littérale, « volontairement caricaturale », comme le confesse Florence Lipsky, des archétypes de la grotte et de la tente.

Elle préfigurait pourtant l'édification des grands ateliers de l'Isle d'Abeau, où tous les espaces abrités du programme, intérieurs comme extérieurs, se développent sous la vaste couverture en plaques de polycarbonate supportées par une charpente mixte en bois et métal.

Au high-tech, les architectes opposent le low-Tech, c'est-à-dire un savoir-faire appliqué avec un prix de revient modéré. Sans a priori stylistique, le low-tech est une approche de la technique avec l'idée sous-jacente de construire pour le plus grand nombre. L'utilisation de produits aussi inédits qu'un film plastique normalement utilisé dans l'aérospatiale associé à du verre pour la façade du Palais de Justice de Roanne, ou encore la réalisation quasi-systématique au sein de l'agence de prototypes à l'échelle 1, illustrent parfaitement cet "art du bricolage". Face au high-tech "cher et sophistiqué", Florence Lipsky et Pascal Rollet proposent aux maîtres d'ouvrage des bâtiments peu coûteux et innovants, tenant compte du savoir-faire des entreprises avec lesquelles ils travaillent.

On y danse, on y danse...

Leurs recherches sur la sublimation de matériaux ordinaires en objets architecturés les ont tout naturellement orientés vers la question des enveloppes. Plus sage que leurs dernières réalisations, le Centre Chorégraphique National de Montpellier est une invitation à la découverte de la façade multicouche du couvent des Ursulines derrière laquelle prennent place les studios de danse. Des lames de bois fixées sur châssis métalliques couvrent la totalité de l'aile nord réhabilitée du cloître. Laissant légèrement entrevoir le rythme des ouvertures qui reprennent celles des trois autres façades, les clins en cèdre rouge contrastent remarquablement avec l'ocre de la pierre calcaire de Montpellier. Pour les architectes, il s'agit de construire de manière résolument adaptée à la situation et de ne pas s'en tenir au concept ou au contexte urbain sans aborder la nature du bâtiment à projeter et l'usage qui en sera fait. Associés dès la genèse du projet, les danseurs de la compagnie Bagouet ont contribué à faire du Centre Chorégraphique National un outil très performant de danse contemporaine. A la grande satisfaction de ses concepteurs et de ses élèves, le couvent des Ursulines est devenu un lieu où l'on danse partout, dans le hall d'entrée, dans la cour ou sur le toit.

Musée vivant

La conception du Musée de la Cristallerie à Saint-Louis-lès-Biches, encore au stade du chantier, est également issue d'une véritable réflexion sur la nature des lieux qui seront mis à la disposition des futurs usagers. Florence Lipsky explique : « L'objectif n'était pas de faire un lieu d'où l'on repart avec un petit bout de cristal à la fin, mais de faire un musée bien vivant. » Sous la forme d'une immense étagère à structure bois autour de laquelle s'enroule une rampe de déambulation, l'espace muséal a été mis en étroite relation avec une zone industrielle d'activité, le visiteur passant ainsi d'une exposition de produits manufacturés aux conditions in vivo de leur fabrication.

La solitude du lecteur

L'extrait du film "Les Ailes du Désir" de Wim Wenders présenté par Florence Lipsky et Pascal Rollet lors de cette rencontre de "2 heures au CSTB" avait un objectif didactique. Dans la salle de lecture de la bibliothèque de Hans Scharoun, les anges se promènent dans un lieu baigné d'une lumière uniforme, où les lecteurs paraissent face à eux même alors que le temps semble arrêté. Conçu comme un grand volume translucide, les architectes ont reconduit à leur manière la solitude du lecteur face à son livre et "l'intériorité silencieuse" du film dans la Bibliothèque Universitaire des Sciences du Campus de la Source à Orléans en proposant une grande hauteur sous plafond et une enveloppe de bâtiment, une fois de plus, efficace et économique.

La double peau en polycarbonate de la façade, à l'intérieur de laquelle les poteaux périphériques en béton sont dissimulés, assure une lumière doucement laiteuse, l'isolation thermique et l'isolation acoustique. Comme pour l'ensemble de leur œuvre, la Bibliothèque universitaire des sciences, qualifiée par Florence Lipsky et Pascal Rollet de "bâtiment outil" - fondamentalement mis au service des usages - propose un dispositif de protection solaire permettant aux étudiants du campus de faire varier l'intensité lumineuse au gré de leurs besoins avec une commande manuelle.

Rapports au temps, à la lumière, à la vie originelle faite de besoins et d'aspirations fondamentales, avec la grotte et la tente, Florence Lipsky et Pascal Rollet expriment le point de départ d'une création que l'on pourrait rapprocher du geste de l'artisan quand, avant l'esquisse, il vit déjà l'usage de l'objet.

Queqlues photos

Photo de la bibliothèque d'Orléans
Bibliothèque d'Orléans
Photo du centre Chorégraphique National de Montpellier
Centre Chorégraphique National de Montpellier
Schéma du musée Saint-Louis
Musée Saint-Louis