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Alain Sarfati, architecte réaliste

Alain Sarfati fait partie des rares architectes qui intègrent le mieux l'architecture à l'urbain. Une vision globalisante qu'il pratique depuis 1968, date à laquelle il débute son activité avec la création de l'Atelier de recherches et d'études d'aménagement (AREA). En 1976, il met sur pied l'agence SAREA, formée d'architectes, d'urbanistes, de sociologues et de paysagistes, à une époque où la multidisciplinarité est peu fréquente dans les cabinets. Depuis, il a œuvré tant dans le secteur du logement social (Villa des Glycines à Evry, logements des Eguerets et des Reinettes à Cergy-Pontoise) que dans celui des grands projets : théâtre d'art dramatique de Toulouse, piscine de Bordeaux, collège Arthur Rimbaud à Amiens, Palais des congrès de Perpignan et celui en cours d'Antibes.

Sept Topiques pour sept problématiques

Alain Sarfati s'est trouvé sept pivots autour desquels il organise ses réalisations. Sept "Topiques" (Topic : ce qui se rapporte exactement au sujet dont on parle") que sont la ville, la vitesse, la nature, le temps, l'orientation, le paysage et la démarche. Et qui tous, sans hiérarchie de l'un sur l'autre, répondent à une seule et même question : comment ne pas faire dépendre l'architecture de la seule technique ?

Premier Topique : la "démarche". Un des obstacles majeurs à la qualité architecturale est celui de l'image. Nombre de maîtres d'ouvrage restent aujourd'hui impressionnables à la seule vue du dessin fourni par l'architecte lors d'un concours. Choisissant en fonction de l'emballage, ils ont tendance à oublier que seule la conduite de projet et la parfaite définition "a priori" de la fonction du bâtiment et de son usage est gage de réussite architecturale. La démarche apparaît donc comme centrale en ce qu'elle définit le fonctionnement même d'un ouvrage, avant de penser à l'esthétique, bien trop soumise à l'idéologie du moment. La dictature de l'enveloppe est devenue ainsi contre-productive. « Pour le projet de l'Ambassade de France à Pékin, nous avons avant tout pensé fonctionnement, circulations, sécurité, surfaces utiles, avant de songer à l'aspect extérieur, explique Alain Sarfati. Nous avons été retenus non parce que notre projet était le plus abouti esthétiquement mais parce qu'il était le seul à "fonctionner". C'est aussi le cas du programme de 350 logements au Mans où l'on a pensé à des bâtiments classiques qui n'empruntent pas aux systèmes constructifs innovants mais qui se nourrissent d'une réflexion sur ce qu'est le logement dans la ville. »

L'incapacité de penser l'architecture hors la ville

"Ville" : le second Topique d'Alain Sarfati. Qui avoue ne pas savoir penser l'architecture en dehors de la ville, à l'inverse d'une architecture autonome faite d'objets "tombés du ciel", hors contexte urbain. Du contexte, il aura fallu en tenir compte pour le concours international d'un grand centre d'affaires à Saint-Germain-en-Laye. Le projet de construire 30 000 m² de bureaux sur un terrain de 3,5 hectares aura fait les frais de la chute du marché de l'immobilier d'entreprise. D'où le choix d'ériger en lieu et place l'équivalent en logements. Parce que chaque bâtiment relevait d'un financement et d'un maître d'ouvrage différents, le nouvel ensemble prend la forme de petits plots articulés autour d'une rue et d'un jardin public, créant ainsi un urbanisme discontinu en liaison avec le reste de la ville. La fabrique d'un paysage collectif et unitaire bénéficie ainsi d'une conception en îlots qui se fait non pas à côté mais avec la ville.

De cette ville, Alain Sarfati en tire son troisième Topique, la vitesse. « Dans l'architecture moderne, souligne l'architecte, le grand bouleversement à la fin du XIXe siècle est l'entrée en piste du béton et de l'acier. Aujourd'hui, le changement vient non plus de l'utilisation de nouvelles matières comme le verre et le titane mais de la vision aérienne que l'on développe sur l'espace et qui transforme notre regard sur l'architecture. »

Notre rapport au temps et à la vitesse est donc en plein chambardement. Lauréat de l'espace central de Melun-Sénart, Alain Sarfati a été amené à réfléchir au couple espace public/vitesse. Pour la RN 7, l'étude des conditions d'amélioration de la sécurité des riverains aux abords de cette artère aura livré un diagnostic surprenant. Vers Athis-Mons, la Nationale traverse un territoire trusté par les enseignes de la grande distribution. Dans ce chaos, un seul projet sur la table : fluidifier le trafic automobile afin d'augmenter la vitesse. Résultat : impossibilité, une fois dans le flux, de butiner d'un magasin à l'autre. D'où un turn-over important des surfaces commerciales et le risque inédit de création d'une véritable friche commerciale. Pour Sarfati, un leitmotiv : pour consommer vite, il faut circuler lentement. Ce type de voie routière doit donc être compris comme un nouveau territoire à aménager, car plus on organise la fluidité, plus on consomme de l'espace, lequel devient un territoire à part entière. Il faut donc remanier les points de jonction entre la Nationale à vitesse rapide et les "voies de délestage" à vitesse lente. La cohabitation de vitesses antinomiques est donc tout le challenge de ce projet.

Quand la circulation favorise le commerce

Les effets de la vitesse sur la ville se ressentent aussi lorsqu'une voie routière se transforme en rue piétonne. On assiste alors à une mutation profonde du commerce, avec l'implantation d'enseignes de restauration rapide, de chaussures à bas prix, de vente de gadgets, etc. La vitesse a donc des effets sur la nature même des programmes. Ici encore, pour consommer vite, il faut circuler lentement.

La nature, autre Topique, apparaît dans sa dimension compensatoire. « En ville, j'observe une demande considérable d'une dimension compensatoire sous la forme de la nature, note Alain Sarfati. L'architecture doit alors sortir du champ de la technique pour entrer dans celui de la nature. » La piscine du quartier Manin-Jaurès à Paris apporte de par sa dimension balnéaire ce besoin de nature, tout comme la piscine de Quimper qui va a contrario de la mise en scène du côté Hi-Tech de ce genre d'établissement en jouant sur ciel (au plafond) et espace boisé au dehors l'été.

Le Topique "temps" est celui qui inscrit l'architecture dans la durée, prenant en compte l'avant mais aussi les aménagements que peuvent subir un ouvrage existant. Pour le théâtre de Toulouse, Alain Sarfati a ainsi composé avec le passé (préservation de certaines façades et d'une porte d'entrée, d'une tour romaine à l'intérieur). Quant à la salle de spectacle, elle joue sur le bleu en créant grâce à un jeu de lumières une atmosphère parfaitement futuriste.

L'"orientation", autre Topique, est à la source même de la conception d'un bâtiment. Quant au "paysage", derniers des sept pivots de la réflexion de l'architecte, il échappe à toute posture dogmatique, ce qui l'inscrit d'emblée dans sa dimension démocratique. Apportant circulation, inspiration, changement d'échelle, il pose le bâtiment dans son environnement. C'est le cas du collège d'Amiens, qui possède une toiture biseautée qui d'où que l'on se situe permet de toujours voir les tours qui l'environnent. Créant ainsi un paysage en jouant sur la continuité.

Alain Sarfati définit des Topiques qui lui permettent de rentrer dans une problématique et d'en faire le tour, par opposition à l'utopie, laquelle "valide des représentations du monde idéologiques qui nous écartent du réel.

Note

Voir le livre que Paul Ardenne, l'historien de l'art et de la culture, a consacré aux Topiques d'Alain Sarfati : "Topiques", Paul Ardenne, Ante Prima Editeur, 168 pages, 100 illustrations.