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Quelle durabilité des produits de construction ?

Les constructions étant soumises à des réglementations et normes techniques, il faut adopter des méthodes de calcul et/ou respecter des seuils. Les exigences portent sur différents critères : résistance mécanique, étanchéité, sécurité incendie, performance thermique ou acoustique, etc. Elles peuvent être mesurées ou validées par des contrôles ou des essais.

Certes, des tests de vieillissement sont effectués. Mais traditionnellement, la durabilité n'est pas considérée comme une caractéristique physique à part entière. Soumise à de multiples contraintes aléatoires, elle est difficile à appréhender dans le cadre d'une approche rationnelle à caractère scientifique. Par exemple, la durabilité ne fait pas partie des six exigences essentielles visées par la Directive européenne Produits de Construction, DPC. Elle apparaît comme un critère horizontal : il faut satisfaire aux exigences essentielles "pour une durée de vie économiquement raisonnable".

Quelle définition donner à cette expression ? Jean-Luc Chevalier, du CSTB, propose la suivante : « La durabilité d'un ouvrage ou d'un produit de construction désigne son aptitude à conserver un niveau de performance fonctionnelle attendu au cours du temps. » Il pointe également le manque de précision des notations actuelles dans le cadre de la procédure française des Avis techniques.

Vers une meilleure évaluation

Les appréciations sont couramment formulées de la manière suivante : "On peut s'attendre à une durabilité satisfaisante" ou "durabilité comparable à celle des produits traditionnels". Comme le constate Jean-Luc Chevalier, « cette prise en compte n'apporte sans doute pas de réponse suffisante en matière d'analyse de risque ou de modes de défaillance : elle ne propose pas de données directement utilisables pour annoncer une durée de service. » Mais elle satisfait aux besoins courants en regard de la garantie décennale.

Pourtant, la durabilité commence à mieux être évaluée. Valéry Laurent, de l'AFNOR, cite l'exemple des Eurocodes. « Ils affichent, à titre d'indications générales, un tableau des durées de vie présumées des ouvrages et des produits. » Cinq classes de performance sont proposées : très durable, durable, moyennement durable, faiblement durable et non durable.

Autre avancée significative évoquée par le représentant de l'AFNOR : la série de normes internationales ISO 15686 intitulée « bâtiments et biens immobiliers construits - prévision de la durée de vie ». Elle introduit le concept de durée de vie de référence défini ainsi : durée de vie prévue ou attendue d'un bâtiment ou de ses différentes parties dans certaines conditions d'utilisation de référence.

A ce jour, les parties 1, 2 et 3 de cette norme ISO ont été publiées (sept autres le seront dans les années à venir). Elles portent sur les principes généraux, les procédures pour la prédiction de la durée de vie, les audits et les revues des performances. Pour autant, elles ne sont pas encore inscrites dans les pratiques des constructeurs français.

Une démarche volontaire plus que réglementaire

Les industriels sont-ils en mesure de mieux prendre en compte les exigences de durabilité ? « Le marquage CE du produit est apposé avant la mise sur le marché », fait remarquer Isabelle Dorgeret, au nom de l'AIMCC. Elle souligne aussi que la durée de vie d'un bâtiment ne peut pas être « la somme plus ou moins pondérée de la durée de vie de ses constituants. » Dans une fiche technique récente, cette organisation professionnelle précise que « le concept de durabilité lié au marquage CE vise la notion de pérennité des caractéristiques mandatées d'un produit. » Elle implique la résistance dans le temps aux détériorations lors de l'exposition à des agents extérieurs ou spécifiques normalement prévisibles.

D'une manière plus générale, il semble que les fabricants souhaitent que les objectifs de durabilité rentrent dans le cadre d'une démarche volontaire plus que réglementaire. Jean-Luc Chevalier note que « les clients industriels ne sont pas encore prêts à des changements profonds, ni à un surcoût des prestations, même s'ils mènent des réflexions sur ce thème ».

Nouveaux besoins émergents

Cette attitude est renforcée par une autre évolution qui complique l'approche des problèmes : la notion de durabilité est aujourd'hui augmentée d'une dimension nouvelle liée à la démarche du développement durable. Les maîtres d'ouvrage s'engagent de plus en plus dans la haute qualité environnementale. Cette volonté est accompagnée par la norme NF P 01-010 qui porte sur les déclarations environnementales des produits de construction.

Autrement dit, il s'agit d'évaluer l'impact des produits tout au long de leur vie : au moment de leur utilisation dans les constructions, mais aussi lors de leur fabrication, puis de la démolition des ouvrages et des éventuelles possibilités de recyclage... Cette analyse du cycle de vie complet conduit à une définition spécifique : la "durée de vie typique", qui ne doit pas être confondue avec la durée effective des produits.

Le développement durable et le renforcement de la réglementation n'expliquent pas à eux seuls le besoin plus pressant en données précises sur la durabilité exprimé par les constructeurs. La montée en puissance des Partenariats Public-Privé (PPP) constitue aussi un élément déterminant : ces contrats de construction-exploitation avec rémunération étalée dans le temps permettent aux bâtisseurs d'investir à la place des administrations, ce qui nécessite d'appréhender des risques nouveaux.

Deux entreprises peuvent notamment en témoigner. La société Eiffage : elle a construit le viaduc de Millau dans le cadre d'un très long contrat de 120 ans. La société Bouygues : au Royaume-Uni, elle a d'ores et déjà réalisé plusieurs équipements publics avec des contrats de 25 à 30 ans.

Partager les données

Dans un tel contexte, on peut s'interroger sur l'utilité de la garantie décennale… Comme le fait Vincent Melacca, du GIS MRGenCi, il faut alors mieux s'attacher à définir une notion complémentaire : la durée de service d'un bâtiment. En d'autres termes, « de la période pendant laquelle ce bâtiment remplit les fonctions pour lesquelles il a été construit, ne présente aucune défaillance et n'entraîne pas de frais d'exploitation trop élevés. »

« La prévision de la performance des matériaux ou des ensembles de matériaux est une étape essentielle du processus de conception, indique-t-il. Il ne fait aucun doute que le rendement des éléments de construction et des bâtiments peut être amélioré par la concertation entre les maîtres d'ouvrages, les concepteurs, les fabricants et les constructeurs. »

Comment susciter, faciliter et rentabiliser cette mise en commun des expériences ? Les ingénieurs du CSTB y travaillent. Ils font notamment appel à l'Analyse des Modes de Défaillances, de leurs Effets et de leur Criticité (AMDEC). Cet outil initialement destiné à l'amelioration de la qualité et de la fiabilité , est également applicable pour la  prévision de la durée de vie,  et permetant la capitalisation des connaissances., a été mis au point au départ pour l'industrie aéronautique. La méthode est aujourd'hui utilisée dans plusieurs domaines : spatial, automobile, nucléaire, chimie, médical et BTP. « Elle permet de déterminer comment et pour quelles raisons un produit de construction est ou sera défaillant », précise Julien Hans, du CSTB.

Programmes de recherche internationaux

Autre type de recherche : l'approche économique en coût global. Comme le rappelle Orlando Catarina, du CSTB, « selon une étude finlandaise sur l'immobilier de bureau, pour un coût de construction de 1, le coût de réhabilitation et déconstruction sera de 5, et le coût de fonctionnement de 200. » Une échelle de valeur 1-5-200 qui devrait être à l'esprit des concepteurs lors des choix constructifs…

Là encore, il faut collecter, structurer et diffuser des informations. « Il serait utile d'élaborer d'une base de données sur le coût global par famille de bâtiments », indique Orlando Catarina. « Pour que de tels outils soient réellement opérationnels, il faut au préalable se mettre d'accord sur la mise en forme des informations », complète Christophe Gobin, de GTM.

Enfin, parallèlement, la France s'est impliquée dans plusieurs programmes de recherche internationaux. Par exemple, Lifetime, un programme qui vise à développer l'ingénierie du cycle de vie des constructions. Mais aussi, Performance Based Buiding (PeBBu), plus orienté sur l'approche performancielle. Ces échanges devraient nous permettre de bénéficier des progrès accomplis par certains pays en avance sur nous dans ces domaines.

Les ouvrages peuvent être éphémères

Comme en témoignent Gérard Sénior, au nom de l'UNSFA, et Thierry Lesage, de l'Union Sociale de l'Habitat, les maîtres d'oeuvre et maîtres d'ouvrage sont très demandeurs d'informations facilement accessibles en matière de durée de vie. Ils envisagent donc favorablement une possible mise à disposition sur Internet de bases de données de durée de vie documentées, avec des référentiels tant techniques qu'économiques.

Pour autant, cette nécessité de mesurer ou prévoir la durée de vie des ouvrages ne doit pas être considérée comme une recherche systématique d'une bonne durabilité. Thierry Lesage prend l'exemple des boîtes aux lettres : « Dans certains cas, le vandalisme est tel qu'il vaut mieux installer des produits économiques et les remplacer chaque fois que cela est nécessaire, plutôt que de choisir des modèles plus résistants, mais aussi plus chers, car leur durée de vie sera de toute façon réduite. »

De son côté, Gérard Sénior considère que, « pour certains produits ou éléments d'ouvrage, le critère de durabilité n'est pas fondamental : on n'a pas toujours envie, notamment, de vivre avec le même revêtement de sol pendant 50 ans... Les bâtiments peuvent être eux-mêmes éphémères. Parfois, ils ont plusieurs vies successives. »