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Alexandre Chemetoff : « Innover, durer »

« Chaque position est relative. Les choses sont vivantes et mobiles », avance Alexandre Chemetoff. Un projet ne saurait se juger définitivement à un instant donné. A Gentilly, par exemple, trois serres horticoles préfabriquées ont été posées dans le jardin qui prolonge l'atelier de travail baptisé le Bureau des paysages. Dans ce lieu qui est aussi le jardin d'essai de ses commandes publiques et privées, les serres d'origine hollandaise ont été montées avec des techniques qui ont permis d'approvisionner tous les matériaux à la main, en laissant intactes les potentialités végétales du site. Trois ans après la fin des travaux, le rapport entre l'extérieur et l'intérieur des serres a changé. La végétation aux abords des petites constructions en simple vitrage a poussé. Dans ces conditions, aucun instant pris indépendamment des autres ne permet de se représenter totalement le projet. « Ce n'est que la distance qui sépare une image prise à la fin des travaux d'une autre trois ans plus tard qui introduit l'idée même du projet : sa durée. Ces serres sont des lieux d'expérimentation constructive, mais aussi de petits observatoires qui nous amènent  à voir autrement notre propre environnement, et à nous interroger sur le rapport entre ce que l'on fait et ce que l'on voit, c'est-à-dire entre la production et l'image ».

Quelle limite pour l'intervention ?

A Nancy, l'épaisseur de la façade sans ornementation, constituée de panneaux d'aluminium, de garde corps et de descentes d'eau, se prolonge par une terrasse et un fossé planté qui constituent son épaisseur. « Mais à quel moment doit-on prendre la photographie ? », se demande Alexandre Chemetoff. Aujourd'hui ou dans quelques années, lorsque les saules et les pins à croissance lente auront poussé, assurant une protection solaire et installant le confort thermique et visuel de l'édifice dans la durée ? Alexandre Chemetoff explique que « l'innovation est une manière d'accompagner la durée, d'imaginer que la fin des travaux est le début d'une aventure celle de l'accomplissement de la mutation d'un lieu. La limite de l'intervention que l'on place généralement à la fin du chantier n'est somme toute pas aussi nette que cela ».

La durée transforme donc l'objet et la nature même du projet. Patine des matériaux, croissance des arbres comme à Gentilly et Nancy, mais aussi durée d'invention du programme comme sur l'île de Nantes où les Nefs industrielles ont été réhabilitées sans programme arrêté. Durée et phasage du projet lui-même, comme à La Courneuve, où la salle des fêtes d'un centre sportif vient tout naturellement se loger sous un toit qui lui était prédestiné. Ou encore, durée et durabilité de la construction pour les sols d'une galerie commerciale à Angoulême réalisés en émaux de Briare noirs et blancs, qui à l'image des mosaïques du Palais Royal sont destinés à résister.  « Les choses ne tiennent pas seulement à ce que l'on fait, mais à ce que l'on permet et qui advient », lance Alexandre Chemetoff. A Blanquefort, le projet trouve tout son sens dans sa capacité à ouvrir les possibilités d'usages. La cité jardin y est constituée par un ensemble de petites maisons qui disposent de patios et de jardins enclos de murs en parpaings. La surface de l'espace extérieur y est égale à celle de l'espace intérieur de l'habitat. Ces maisons sont donc aussi bien des maisons du dedans que du dehors. Elles accueillent un plus grand nombre de choses et d'usages qu'à l'accoutumé, un atelier de bricolage improvisé par exemple, tout en bénéficiant d'une charge locative principalement établie d'après la surface habitable et non pas calculée d'après la surface totale de la maison.

Une affaire de méthode

Pour Alexandre Chemetoff, qui pratique de façon libre son métier d'architecte, « c'est lorsque les possibilités d'usages auront été éprouvées que le lieu pourra atteindre sa véritable dimension. » Mais plus généralement, le travail de projet est une affaire de méthode : « C'est dans l'invention des façons de faire que se situe l'invention du projet ». Le projet est  une critique des règles du jeu et une manière de conduire une action, là où le programme est une question posée, et le site un lieu de ressources. Une prise de position qui trouve l'une de ses meilleures expressions pour la rénovation des logements et de l'environnement des plus grandes barres de France sur le Haut-du-Lièvre à Nancy, où des espaces témoins ont non seulement été réalisés pour les appartements mais aussi pour les espaces publics : « Pour partager et faire accepter cette transformation, il ne sert à rien de montrer des images. Il faut travailler grandeur nature, fabriquer les choses pour que chacun puisse discuter sur le site en mesurant et en appréciant ce qui s'y passe. Pour que le changement soit durable. »