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De douces courbes pour le musée de la dentelle à Calais

Bien que de taille modeste, l’ouvrage en VEA double-peau concentre de nombreuses difficultés. Au premier rang d'entre elles, la fabrication des verres feuilletés à double courbure formant les bulles dont l’aspect liquéfié semble vouloir s’accorder aux propriétés physiques de l’eau du canal qui borde le musée. Tous les vitrages étant différents, de nombreux moules ont du être utilisés. D’autre part, l’augmentation de la résistance des verres par un refroidissement brutal était délicate à mettre en œuvre de manière homogène.

Jean-Pierre Tahay, chef de département chez Viry, la société titulaire du marché, explique que les problèmes de tolérance entre les vitrages et la structure secondaire en Profils Reconstitués Soudés constituaient un deuxième défi à relever : "Un système de fixation a été spécialement développé pour l’opération. Les vitrages de la peau intérieure et de la peau extérieure sont pincés par paire grâce à des attaches soudées sur les membrures en PRS. Ces attaches, qui reprennent le poids propre des vitrages et les efforts au vent, comportent un dispositif d’articulation vertical avec intercalaires qui autorise les mouvements de la membrure et les déformations des vitrages."

L’histoire d’un métier et d’une ville pour façade

La réalisation de la sérigraphie représentait un troisième défi, aussi bien symbolique que technique. Les architectes Alain Moatti et Henri Rivière ont en effet demandé à des dentelliers de réaliser des cartes à trous semblable à celles utilisées pour fabriquer la dentelle à l’aide des machines en fonte, des leavers. Mise à l’échelle, les motifs de ces cartes à trous a ont reproduits sur la face intérieure de la peau extérieure de la double-peau au moyen d’une sérigraphie utilisant des composants métalliques de couleur gris aluminium, pour une meilleure réflexion des lumières du ciel.

Jean-Louis Galéa, responsable pour le CSTB de l’Appréciation Technique d’Expérimentation, rapporte enfin qu’une étude hygrométrique a été effectuée pour calculer les températures et réduire les risques de condensation dans la lame d’air de la double-peau ventilée. "Des essais de résistance au vent ont également été effectués, non seulement sur la paroi extérieure, mais aussi sur la paroi intérieure, conclut-il. Contrairement aux apparences, cette dernière subit davantage de sollicitations dues aux effets du vent par rapport à la paroi extérieure qui est pourtant la plus exposée."

Fiche technique

  • Maîtrise d’ouvrage : SEPAC, ADEVIA pour la ville de Calais
  • Maîtrise d’œuvre : MOATTI & RIVIERE, agence d’architecture
  • BET structure : RFR
  • Bureau de contrôle : SOCOTEC
  • Réalisation des verres plans et bombés : SANXIN GLASS TECHNOLOGY
  • Conception et pose, ossature secondaire : VIRY
  • Livraison prévue : juin 2009

Rencontre avec Henri Rivière, architecte

Henri Rivière, comment pouvez-vous définir votre travail ?
Pour nous, l’architecture est la recherche de lieux imaginaires. Mais ces lieux imaginaires doivent pouvoir se matérialiser d’une manière ou d’une autre et devenir réalité …

Mais comment nourrir cet imaginaire et l’ancrer dans la réalité ?
Par le lien. Par la rencontre humaine, notamment celle avec le maître d’ouvrage. Si le lien est fort, le client et les futurs usagers porteront l’imaginaire et le rêve. Ils l’enrichiront et se l’approprieront. La compréhension du lieu sur lequel nous intervenons est un autre aspect important de notre travail, qu’il s’agisse d’une réhabilitation ou d’une construction neuve. C’est en comprenant bien le contexte social, économique et urbain, une origine et une histoire, qu’il devient possible d’emmener un lieu vers le futur. Et ce futur s’appuie sur une recherche poétique, presque fantasmagorique, issue de nos convictions et de notre culture. En définitive, nous croyons aux lieux à forte identité. On revient toujours sur les lieux que l’on a aimés. On les entretient. Mais pour les aimer et les entretenir, il faut qu’ils dégagent une certaine émotion et qu’ils nous fassent voyager. C’est pour cela que je parle d’imaginaire.

Et pour le musée de la dentelle de Calais ?
La dentelle a réellement porté la ville de Calais. Puis l’activité a périclité. Il n’y a plus que 2 000 ouvriers dentelliers, alors qu’ils étaient 60 000 dans les années 60. Lorsqu’on visite les derniers ateliers de dentelle, on se croirait plongé en plein 19e siècle : le bruit des grosses machines en fonte de 12 mètres de long graissées au graphite remplit l’espace d’un tempo lancinant. Les mains et le visage des ouvriers sont noirs. Le sol est noir. Mais de ces machines sort la plus belle dentelle du monde. Le projet a voulu rendre un hommage à l’épaisseur de ce métier de dentellier dont la formation prend une dizaine d’années. Et la meilleure manière de lui rendre hommage était de travailler avec des matières contrastées et d’établir un rapport de force entre le patrimoine et la modernité. Il était important d’établir un langage entre des matières brut et d’autres très élaborées et précieuses. Sur une usine existante et délabrée à laquelle nous avons permis de vivre encore pendant plusieurs décennies, nous sommes venus accoler une architecture très avant-gardiste, où la façade a été travaillée de manière sensuelle avec ce verre sérigraphié à double courbure. C’était une manière métaphorique de parler de l’industrie dentellière et du désir que provoque la dentelle.

L’idée des bulles était-elle déjà présente au stade du concours ?
Oui, bien sûr. Mais le verre n’est pas venu tout de suite. Au concours, nous hésitions entre le métal et le béton très haute performance. Petit à petit, nous sommes arrivés à nous fixer sur le verre. Mais cela n’a été évidemment possible qu’avec des compagnons de route capables de nous aider à réaliser cette fusion de l’ingénierie avec l’architecture : Philippe Bompas et Nicolas Prouvé, de RFR

Comment s’organisent les espaces intérieurs ?
La greffe moderne est consacrée à aux expositions temporaires et à un auditorium de 250 places au 1er étage. Au rez-de-chaussée de cette extension, se trouvent l’accueil la cafeteria, la médiathèque et les espaces pédagogique. Nous avons en fait retourné l’orientation urbaine du bâtiment. Avec l’extension, l’arrière de l’usine est devenu l’entrée du bâtiment, face au canal. Cela permettait de participer à l’amorçage d’une nouvelle centralité urbaine que pourrait constituer le canal. Mais pour en revenir à l’intérieur du musée, disons simplement que ça n’est qu’après avoir cheminé dans l’espace contemporain de l’extension que le visiteur rentre dans le cœur du sujet : l’ancienne usine que nous avons réhabilitée et qui contient l’ensemble des expositions permanentes.

Que reste-t-il de l’histoire de l’ancien bâtiment une fois réhabilité ?
Le caractère industriel que nous avons gardé en ne cachait pas ses cicatrices et son origine. Sa structure mixte existante, constituée de murs en briques, de poteaux en fonte supportant des poutres en bois résineux et des appuis de poteaux en cubes de sapins, permettait une certaine souplesse pour absorber les vibrations des machines. Tout notre travail a consisté à renforcer et à mettre cette structure aux normes sans la dénaturer. La recherche muséographique a procédé du même principe. Les objets et les œuvres sont mis en valeur dans un décor industriel. Les gaines de traitement d’air, les chemins de câble ou les systèmes d’éclairage sont apparents. Là encore, il existe un contraste, une sorte de contraste entre l’existant et les éléments que nous sommes venus surajouter.

Est-ce suffisant pour que le bâtiment conserve une forme de vérité industrielle ?
Pas tout à fait. La muséographie a été pensée comme un atelier vivant où le visiteur passe au milieu de machines en marche. Pour cette vieille usine qui fonctionnait encore il y a huit ans, il y a à la fois un message culturel et économique. Nous avons voulu montrer que l’activité du bâtiment n'était pas tout à fait morte et qu’un musée peut aussi être un lieu vivant. Un atelier de fabrication de dentelle sera en fonctionnement dans le musée et permettra de réaliser des créations en mettant à contribution des designers, des couturiers et des stylistes.