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Christian Devillers : "Un développement durable à plusieurs échelles"

"Il n’y a pas de développement durable possible à une échelle isolée", affirme d’emblée Christian Devillers, pour lequel cette proposition a priori évidente se heurte souvent aux pratiques de la division du travail et aux logiques sectorielles, où chaque acteur se cantonne à son domaine ou aux réseaux qu‘il exploite. "Il ne suffit pas par exemple de réaliser des immeubles BBC, si nous nous demandons pas avec quel type d’énergie nous allons les alimenter." De la même manière, parler du transport revient à quitter l’échelle du bâtiment ou du quartier pour celle de l’agglomération. L’objectif du projet urbain est de tenter d’instaurer un rapport entre les différents secteurs et les différentes échelles d’aménagement et de construction : "Il n’est pas une inspiration d’artiste ou le geste souverain de celui qui sait, mais il permet d’établir la transversalité entre les logiques sectorielles pour produire un espace habitable, non pas seulement aménagé et équipé."

Vers plus de proximité

Mais qu’est-ce qu’un territoire? Qu’est-ce qu’une métropole? Dans l’agglomération de Reims, où l’ancien élève de Louis Kahn travaille sur un grand marché de définition, près de la moitié de la population n’habite pas en ville mais dans les aires urbaines et les zones rurales. Une population fréquemment oubliée, mal équipée, avec peu de transports en communs à sa disposition, alors que la mobilité est devenue un droit. "Toute personne exclue durablement de la mobilité est aujourd’hui une personne exclue de la société", constate-t-il. Après un siècle marqué par la croissance générale des mobilités et des bassins de vie, il s’agit de renforcer les proximités. Mais les renforcer, implique nécessairement de les définir. Christian Devillers partage avec l’urbaniste Marc Wiel une vision des proximités à plusieurs échelles:

Le quartier tout d’abord, où l’on trouve de quoi satisfaire tous nos besoins quotidiens dans un rayon de 500 m, ou l’équivalent de 10 mm à pied ou en vélo. Il est desservi par des transports en commun permettant de rejoindre un lieu de travail et de passer à une autre échelle: la ville d’agglomération, qui doit proposer un certain nombre de services liés à la vie urbaine. On trouve à cette 2e échelle de proximité des stades ou des théâtres, par exemple, ainsi qu’une station de RER pour aller vers la dernière échelle que constitue la métropole dotée de lignes de chemins de fer à grande vitesse. On le voit bien, ces échelles de proximité correspondent à des échelles de mobilité: "La vitesse est dissuadée au niveau du quartier, alors que tout est fait pour l’augmenter à l’échelle interurbaine." Toutes théoriques qu’elles soient, les définitions de ces rapports de proximité permettent d’avoir un fil directeur pour savoir comment intervenir : "Les questions de mobilité et de proximité sont les grandes questions de l’urbanisme aujourd’hui."

Bercy - Charenton
Ginko - Berges du lac
Grenoble - ZAC de bonne

La ville, lieu d’échange socio-économique

Pour les projets de Reims ou de Rennes, Christian Devillers revient évidemment sur ces notions pour concevoir un cadre durable en s’appuyant notamment sur les infrastructures existantes, la nature, le relief, ou le régime hydrographique. A Rennes dans le nouveau quartier ViaSilva par exemple, "les constructions ne s’organisent pas autour des lieux de mobilité comme les routes et les carrefours. Elles s’organisent plutôt autour de la forêt, des corridors écologiques qui sont de grandes césures paysagères avec ses chemins d’eau, et des prairies basses où l’eau peut être accumulée et traitée avant d’être rejetée dans la Vilaine. Avec un objectif zéro tuyaux." Ces aspirations environnementales ont récemment valu à Christian Devillers et aux maîtrises d’ouvrage qui l’entourent, deux distinctions pour des projets à Grenoble et à Bordeaux, dont le Grand Prix National EcoQuartier 2009 pour la ZAC de Bonne. Mais au-delà d’une relation étroite avec le territoire, l’architecte-urbaniste ne s’en avance pas moins sur des terrains socio-économiques.

A Rennes encore, le programme prévoit le juste compte avec la construction de 40 000 logements pour 40 000 emplois créés. "C’est la ville de ViaSilva, lieu d’échange entre le social et l’économique qui est durable par nature", justifie-t-il à propos de l’opération "Cœur d’Orly" pour lequel le centre économique serait doublé d’un centre urbain qui lui fait actuellement défaut. "Le véritable intégrateur, le véritable créateur de valeur, ce n’est pas la zone d’activité, mais la ville! » Au niveau de l’îlot, cette réflexion sur les lieux d’échanges socio-économiques trouve son prolongement naturel à une échelle plus réduite. Christian Devillers développe en effet, depuis le grand projet urbain sur la Plaine Saint-Denis, des formes urbaines composées par des îlots "complexes" dont la mixité y est plurielle. Dans ces îlots, la mixité de déplacement et la mixité sociale cohabitent avec une mixité fonctionnelle et morphologique * : "La ville doit être mixte. Elle doit accueillir dans chacun de ses îlots toutes sortes d’habitat, de l’activité, et toutes sortes de morphologie. Nous militons contre cette division inventée au XXème siècle où les logements collectifs sont séparés des zones pavillonnaires. Cette division n’a pas provoquée à elle seule la ségrégation sociale, mais l’a merveilleusement bien accueillie."

 

* Mixité de déplacement : circulation douce, voie partagée à 20km/h…
Mixité sociale : juxtaposition de tous les statuts d’occupation (accession ou locatif social, accession libre, locatif libre…).
Mixité fonctionnelle : logement, activité, commerces, équipements…
Mixité morphologique : logements collectifs, intermédiaires, individuels.