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Nasrine Seraji : "vers une architecture de l’environnement bien tempérée"

Une rencontre avec Nasrine Seraji est avant tout une rencontre avec un esprit investigateur. Avec une volonté de comprendre et d’enseigner qui l’a amenée à prendre la direction de l’Ecole d’Architecture de Paris-Malaquais après de nombreuses expériences professorales, de Londres à la Nouvelle-Orléans en passant par les universités de Princeton et Cornell.

Comment voir autrement ? "La crise pourrait-elle devenir un territoire d’invention plutôt qu’une contrainte ? Quels peuvent être les rapports de l’architecture avec la société de l’information ? Quel est le sens de la géométrie dans une architecture aux formes complexes ?" Nasrine Seraji multiplie les questions sans vouloir apporter de solutions définitives. Elle entend d’abord livrer des pistes de réflexion, dont les architectures ou les plans d’urbanisme seront les bancs d’essai, dans une mise à l’épreuve nourrie par une lecture rigoureuse de la réalité des contraintes. Si ses projets sont très affirmés d’un point de vue plastique, sa quête de certitude se nourrit d’une véritable culture du doute. La crise économique et les changements climatiques incitent à remettre les choses à plat. Tant mieux. "A chaque fois qu’il y a une crise, on se réveille et on commence à se donner la dilatation de la réflexion. […] Au lieu de répondre, tâchons simplement d’inventer. Prenons la crise comme programme."

Trouver les espaces de dilatation

Nasrine Seraji réclame une autre approche du temps. Le temps utile à la réflexion bien sûr, mais aussi celui nécessaire à la sédimentation de la ville. Sur les rives de l’Allier, à Vichy, le quartier du stade Darragon a été projeté comme un lieu d’articulation entre la ville et sa géographie. Le paysage fluvial, blessé par les aménagements des années 60, a été reconstitué en intégrant l’idée d’un projet urbain qui peut se modifier : "Le stade existant peut très bien être démoli comme continuer à fonctionner. Nous le considérons comme un terrain vide à l’intérieur duquel il peut y avoir des programmations différentes dans le temps."

Pour celle qui s’est fait connaître grâce à la construction provisoire du premier American Center de Paris, ces élasticités du temps, du programme, de la forme et du paysage sont un véritable leitmotiv. "Alors que le monde s’aplatit, nous essayons de trouver de l’épaisseur au projet", expose-t-elle encore en s’interrogeant sur la pertinence du travail presque exclusivement en plan masse plutôt qu’en coupe sur les projets urbains. Cette culture de la remise en question trouve évidemment son corollaire dans une méfiance du politiquement correct en matière de développement durable : "Et si le vert était la nouvelle mode chez les architectes comme c’était le cas pour le noir dans les années 80 ? Un nouvel uniforme en quelque sorte."

L’architecte de la nouvelle école d’architecture de Lille en appelle à une prise de position raisonnée et à Reyner Banham, auquel elle emprunte le titre d’un livre "The Architecture Of The Well Tempered Environment", pour soulever d’autres interrogations : le rapport SHON/SHAB comme valeur de référence de la rentabilité économique d’un bâtiment est-il toujours d’actualité ? La densité n’est-elle pas aussi une question de densité perçue comme elle le montre dans son projet de 275 logements à Lyon, ou une affaire de superposition des fonctions comme c’est le cas de l’immeuble "Big, Heavy, and Beautiful" situé dans le 14e arrondissement de Paris ? Malgré l’urgence, le chantier reste entier.