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Corinne Vezzoni : à la recherche du lieu

Cette étroite relation avec le territoire, Corinne Vezzoni la puise à Marseille où elle a élu domicile. Là où le grand paysage fédère les architectures disparates : "Non pas dans une ville de perspectives comme Paris, mais dans une ville ouverte sur la mer et les collines, lorsque le territoire est plus fort que tout le reste."

"Marseille a toujours malmené son patrimoine historique. La faute à un territoire trop prégnant ?", s’interroge encore Corinne Vezzoni, comme si l’identité forte de la commune ne se trouvait pas dans la ville elle-même mais au-delà des limites de son urbanisation. Toujours est-il que celle qui a établi, avec Pascal Laporte, son atelier d’architecture à l’intérieur de l’unité d’habitation de Le Corbusier, a justement construit sa ligne de conduite professionnelle en recherchant les traces du passé et en tentant de s’inscrire dans les grandes lignes du paysage. Les restanques, autrement dit ces murs provençaux en pierre sèches qui permettaient la culture en terrasse, sont devenues les figures coutumières de son œuvre, pour le lycée à énergie positive du quartier Saint-Mitre à Marseille, par exemple, ou pour l’une de ses réalisations les plus connues : le lycée Henri Matisse à Vence.

La valeur du contexte

Pour le lycée HQE de Vence, livré au début des années 2000, toute la difficulté du projet résidait dans l’intégration d’un établissement prévu pour plus de 1 000 élèves dans un site remarquable. Avec une longueur d’emprise équivalente à celle du centre médiéval, comment ne pas dénaturer le territoire ? Comment se jouer de la pente ? Comment être économe en surface en ajustant les gabarits au tissu pavillonnaire environnant et en n’oblitérant pas la composition et les perspectives d’une grande résidence aristocratique mitoyenne ? Corinne Vezzoni s’est attachée à composer un plan masse guidé par les traces de l’ancien parcellaire agricole avec ses restanques dont elle a notamment repris l’esprit et l’orientation en concevant des toitures-terrasses végétalisées. Un travail en coupe a également permis de mettre en valeur et de rendre accessible une petite forêt juchée sur une colline. Le bâtiment qui accueille les salles de cours, découpé par des puits de lumière, y a été adossé, alors que les logements de fonction qui surmontent l’ensemble ont été imaginés de plain-pied sur la forêt, fenêtres ouvertes sur la nature.

Corinne Vezzoni se définit comme une architecte contextuelle. Elle se risque néanmoins à déterminer deux typologies de projet : homomorphie et homochromie. Pour la première, en référence à la stratégie de camouflage de certaines espèces animales qui miment les formes de leur environnement, elle y voit "des interventions en sites fragiles et sensibles où les bâtiments doivent servir de faire-valoir au lieu". Pour la seconde, lorsque les sites d’implantation sont plus difficiles, le respect du paysage disparaît au profit d’un affrontement: "Comment mesurer la coloration d’un lieu, aller à sa rencontre, l’amplifier en s’y inscrivant avec du sens ? Comment exister ?" Les projets se heurtent alors à leur milieu, comme pour les archives et la bibliothèque départementales des Bouches-du-Rhône à Marseille.

Une question de taille

A l’origine programmées par le maître d’ouvrage en deux bâtiments distincts, les archives et la bibliothèque situées au cœur d’Euroméditerranée ont été réunies sous le même toit  pour reprendre un thème cher à l’architecte : la mutualisation des usages. Au-delà des économies de fonctionnement et des gains d’espace qui ont permis de restituer à la ville un petit jardin public, il s’agissait de pouvoir monter en hauteur et de gonfler les volumes pour ne pas disparaître, écrasé visuellement par les viaducs autoroutiers qui surplombaient le terrain de construction. En d’autres termes, il s’agissait tout simplement d’exister. L’édifice a été conçu en mettant en scène l’espace de stockage, sorte d’immense container "à mémoire" de couleur rouge que laisse deviner une enveloppe constituée de verre, de pierre et d’acier.

Pour l’architecte qui commence toujours par élaborer ses projets à l’aide de maquettes, le bâtiment ne devait pas donner l’illusion d’être autre chose que ce qu’il est : un mausolée hermétique à la lumière et à l’air contenu à l’intérieur d’espaces ouverts au public. Il s’agissait surtout de fabriquer un lieu né de la confrontation avec un environnement hostile. Pour reprendre les termes de Louis Isidore Kahn que Corinne Vezzoni cite volontiers : faire en sorte que "ce qui est a toujours été".