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Un voyage vers l’horizon avec Odile Decq

Pour cette bretonne d’origine, force est de constater que faire de l’architecture, comme prendre la mer, revient à fixer un point sur la ligne d’horizon sans jamais parvenir à le rejoindre. Naviguer revient à négocier avec le vent, le courant, les vagues, les éléments, pendant que la ligne d’horizon se décale toujours plus loin :"On ne l’atteint jamais. Pour l’architecture, c’est la même chose. C’est une aventure. On se fixe un point d’arrivée et on négocie en cours de route. Avec la réglementation, le budget, le client, les entreprises. On finit par atteindre un objectif, tout de suite repoussé plus loin…pour le prochain projet."

La conception d’un immeuble de 27 logements à Florence s’apparente à ce type d’exercice de navigation. A l’intérieur d’une réglementation urbaine trop contraignante, Odile Decq s’est employée à interpréter tout ce qui pouvait l’être. Comment s’inscrire dans la modernité à moins de 5 mm du centre historique de la ville tout en contournant les contraintes historicistes du cahier des charges initial ? Avec l’aval de Francesco Dalco, conseiller à la maîtrise d’ouvrage, la nouvelle directrice de l’école spéciale d’architecture de Paris a transformé les velléités d’arcades en porte-à-faux, les fenêtres verticales en une superposition verticale de fenêtres horizontales, et les toits en pentes en couvertures plissées. Mais l’ouvrage le plus singulier de l’immeuble d’habitation, qui s’articule autour d’une cour ouverte flanquée d’escaliers et de coursives, reste sans doute cette immense résille couverte de plantes qui cache balcons et loggias interdits au règlement. En été, les plantes fleurissent rouges, de la même couleur que les briques, matériau de revêtement de façade à l’origine imposé.

Des espaces en tension

Fond régional d’art contemporain de Bretagne
Red lace – Florence
Restaurant Archipel sur le Rhône

En travaillant en France sur le projet du FRAC de Rennes (Fond Régional d’Art Contemporain de Bretagne), Odile Decq admet avoir été déconcertée par l’enveloppe parallélépipédique à laquelle le projet devait se conformer. Avec un programme dense, plafonné en hauteur et circonscrit sur chacun de ses côtés, il n’y avait aucune marge de manœuvre pour fabriquer ces discontinuités spatiales qui caractérise son travail. Les instabilités de la matière et de perception, comme inspirées par l’eau et les flots de la mer, Odile Decq les a finalement trouvées au cœur même du bâtiment. Une grande faille oblique découpe la boîte parallélépipédique sur toute sa longueur pour créer une promenade verticale qui va des réserves en sous-sol jusqu’en toiture. Un dispositif de rampes d’accès autour de cet atrium central met en relation l’ensemble des services. Malgré cette fluidité d’organisation du programme, l’espace reste conçu comme une succession d’événements générés par autant de figures géométriques en tension : "la faille, dans laquelle on déambule librement, fait de 3 m à 7 m de large pour plus de 20 m de haut, explique-t-elle. Pour pouvoir emprunter cette faille, il faut marcher entre la façade et la salle de conférence dans un espace qui fait 1,50 m de large. Alors que 80 cm seulement séparent la sous-face de la salle d’exposition et le dessus de la salle de conférence." A contrario, les façades principales sont imaginées calmes et silencieuses, constituées de verre et d’acier inox prépatiné noir, face à l’alignement des 72 monolithes de l’artiste Aurélie Nemours.

Siège de VNF sur la Seine
Aménagement d'un voilier de luxe
Musée d’art contemporain à Rome

Avec un véritable appétit de construire, Odile Decq s’aventure également à travailler sur des projets plus inattendus. Avec plaisir, elle négocie avec la contrainte et les éléments, comme pour ce centre d’information à Shanghai, entièrement conçu par mails interposés avec une maîtrise d’ouvrage et un bureau d’étude basés en Chine. Simple coïncidence sans doute, l’eau n’est jamais très loin : pour le tepee chinois, justement planté au beau milieu d’un bassin d’agrément, mais aussi pour le restaurant flottant en forme de bulles sur le Rhône, pour le projet "anisotropie" de VNF sur la Seine, pour le musée d’art contemporain à Rome où une verrière se transforme en gigantesque fontaine, pour le terminal maritime à Tanger qui s’étire comme un fluide, ou plus franchement pour l’aménagement d’un voilier de luxe de 44 mètres avec son pont en teck duquel rien ne dépasse, lisse et sans fin comme l’horizon. L’intérieur du bateau y a été pensé comme un enchaînement d’espaces continus pourvus de simples cloisons séparatives amovibles. Tout le mobilier et tous les équipements, des banquettes à l’évier, ont été dessinés par ODBC, l’agence d’Odile Decq, qui propose une réelle activité de design. Un peu comme pour mieux se préparer aux lointains voyages : à la force et à la maîtrise du détail.

Information center – Shangai Chine
Terminal maritime – Tanger Maroc