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Etude de l'éclatement du béton dans un incendie

Une longue histoire sans certitude

La prise en compte réglementaire des risques d'éclatement des bétons repose essentiellement sur des approches expérimentales. Aucun calcul prédictif ne peut être encore réalisé car les phénomènes physiques à l'origine de ces dommages restent encore mal connus. Parmi les hypothèses avancées, on évoque le rôle d’un processus thermomécanique où l'éjection de matière serait provoquée par des contraintes de compression élevées des parties exposées au feu. Ce mécanisme est intimement lié au gradient thermique au sein du matériau et aux dilatations empêchées de la structure.

Une autre hypothèse fait appel à un processus thermo-hydrique : l'éclatement serait lié à l’apparition d’une pression de vapeur d'eau supérieure à la résistance en traction du matériau. Cette théorie est avancée pour expliquer le rôle positif des fibres polypropylène lors d'un incendie. En fondant vers 170°C, celles-ci créent des chemins de passage préférentiels pour les fluides au sein de la matrice du béton, réduisant ainsi les pressions de vapeur d'eau. Depuis une dizaine d’années, le CSTB travaille sur le comportement à haute température des bétons. Une thèse menée par Jean Christophe Mindeguia sera prochainement soutenue. Une seconde, menée par Laura Michel, est en cours de démarrage. Les deux thèses portent sur l'étude des risques d'éclatement.

A gauche, dispositif expérimental de mesure des propriétés thermiques selon la méthode dite "TPS". A droite, évolution avec la température de la conductivité thermique des 5 bétons de l'étude. On ne note pas d'influence particulière des paramètres de formulations des bétons sur cette propriété du matériau. (cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Propriétés à haute température et risques d'éclatement

Le béton étudié dans le cadre de cette thèse est un matériau de chantier ordinaire. Des "variantes" rendent possible l’étude de l'influence de divers paramètres sur son comportement à haute température : béton à plus forte compacité, béton avec des granulats de natures différentes (siliceuses et calcaires) et béton contenant des fibres polypropylène. Elles ont été testées après stockage dans des conditions différentes (normales, pré-séchées à 80 °C, dans l’eau) afin d'étudier l'influence de leur état hydrique.

Une première série d’essais a porté sur l’évolution des propriétés des bétons en fonction de la température : courbes de perte de masse et de dilatation thermique transitoire, porosité à l'eau, perméabilité à l'azote, dilatation thermique, fluage, résistance à la compression, élasticité… Autant de données destinées, d’une part, à alimenter les modèles numériques existants. L'analyse des résultats a permis, d’autre part, de mieux comprendre le déroulement des deux processus semblant être à la base de l'éclatement. Enfin, un effort de recherche a porté sur la compréhension d’un phénomène particulier du béton, la déformation thermique transitoire.

A gauche, dispositif expérimental de mesure de la perméabilité à l'azote selon la méthode dite "CEMBUREU". A droite, évolution avec la température de la perméabilité des 5 bétons de l'étude. On remarque en particulier l'augmentation de la perméabilité du béton après la fusion des fibres polypropylène (après 170°C), ainsi que l'augmentation brusque de perméabilité dans le béton avec granulats siliceux (du à une fissuration thermique supplémentaire dans ces bétons)
A gauche, dispositif expérimental de mesure des propriétés thermomécaniques des bétons. A droite, courbes dites de déformation thermique transitoire (DTT) des 5 bétons de l'étude.

La seconde série de tests a concerné les risques d'éclatement. A partir de la mesure de pression de gaz, de température et de perte de masse, le processus thermo-hydrique au sein du béton a été analysé. Pour cela, différentes sollicitations thermiques ont été choisies pour influer sur le processus étudié : chauffage très lent (1°C/min), courbe ISO (800°C en 20 minutes) et courbe Hydrocarbure Majorée (1 300°C en 20 minutes). L'observation de l'éclatement et sa caractérisation (profondeur, taille des écailles, volume éjecté…) ont mis en évidence l'influence de divers paramètres (nature des granulats, dosage en fibres, compacité des bétons, état hydrique initial) sur le risque d'instabilité.

A gauche, schéma du dispositif expérimental de mesure des pressions de gaz, température et perte de masse des bétons. A droite, exemple de mesure de pression de gaz dans un béton à forte compacité (résistance à la compression de 60 MPa) sous chauffage lent.
A gauche, vue du four utilisé pour les essais sous courbe ISO. A droite, exemple de mesure de pression de gaz dans un béton à forte compacité (résistance à la compression de 60 MPa) sous courbe ISO. Il est en particulier notable que la plupart des bétons non-fibrés de l'étude présentent des phénomènes d’écaillage, alors que les valeurs de pression mesurées sont faibles (< 0,25 MPa). Ces valeurs de pression sont bien inférieures à celles mesurées dans l’essai présenté précédemment (1 – 2 MPa) au cours duquel on n'observe pas d’écaillage.

Une priorité : laisser l’eau s’évacuer

Les essais ont montré que ni les pressions de vapeur d'eau ni les processus thermomécaniques ne décrivent à eux seuls les risques d'éclatement. Il est également apparu qu’un béton pré-séché à 80°C (départ de l'eau libre) ne présentait pas ce type de détérioration, quelle que soit la sollicitation thermique subie.

Il ressort clairement de ces travaux que la teneur et les mouvements de l’eau lors du chauffage ont une influence extrêmement forte sur l’écaillage des bétons. Si on laisse l'eau s'évacuer rapidement de la matrice du béton, les risques sont fortement réduits. En augmentant fortement la perméabilité du matériau après leur fusion, les fibres de polypropylène trouvent là la justification de leur efficacité. D’où l’idée de tester une nouvelle solution technologique : la perforation de la partie exposée au feu d'une dalle en béton a permis de réduire le risque d'éclatement sous feu ISO.

A gauche, vue après essai de la surface exposée au feu ISO d'une dalle de béton à forte compacité (résistance à la compression de 60 MPa). A droite, cartographie des profondeurs d'éclatement de la même dalle.