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La Fondation Louis Vuitton pour la Création sur un nuage

Les bâtiments de Frank Gehry intriguent et préservent une part de mystère. Au-delà des formes complexes, toute tentative pour retrouver les origines et comprendre la genèse de leur mise en forme relève de la gageure, tant les références sont multiples et mêlées. L’exception architecturale ou l’univers spectaculaire et indicible des projets de l’architecte qui échappe aux conventions, appellent la métaphore. Pour le plus connu de ses projets européens, l’architecte californien d’origine canadienne avait, par exemple, réalisé à Bilbao un musée semblable à un cargo, dont les vêtures en écailles de titane paraissaient inspirées par son travail sur la forme organique du poisson, figure récurrente de son œuvre maintes fois déclinée dans un registre décalé, aussi bien pour la construction d’un restaurant à Kobe que pour l’aménagement d’une partie du front de mer de Barcelone.

Un pavillon de verre entre ville et forêt

Après la construction en 1994 de l’American Center de Bercy (actuelle Cinémathèque Française), Frank Gehry revient aujourd’hui à Paris avec des idées nouvelles, attentif au contexte et à l’environnement. La Fondation Louis Vuitton s’installe à l’orée du Bois de Boulogne, au jardin d’acclimatation. Elle s’inscrit dans une démarche HQE® pour laquelle 75% des gravois de démolition et des déblais seront recyclés. Dans un contexte très boisé, entre ville et forêt, un pavillon de verre a été imaginé, inspiré des serres horticoles aux espèces exotiques qui agrémentaient les jardins européens du XIXe siècle. Pour Frank Gehry, "créer un objet solide semblait déplacé". La légèreté, la transparence sur la nature et la volonté de dialogue avec un large public à la découverte de l’art contemporain dans l’esprit ludique et familial du jardin d’acclimatation, s’imposaient. Le verre, jusqu’ici rarement mis au premier plan par le lauréat du Pritzker Prize 1989, devait tout naturellement devenir le matériau principal du projet.

Un véritable travail de plasticien a permis de modeler, au gré des esquisses et après des dizaines de maquettes d’étude, un pavillon de verre qui ne soit pas seulement la transcription contemporaine des édifices du XIXe siècle. Déformé par l’imaginaire de Frank Gehry, le pavillon s’est métamorphosé en une chrysalide cristalline, sorte de nuage de verre aux lignes courbes et aux volumes fuyants.

Fondation Louis Vuitton - Nicolas Borel

Consultance en amont du projet

Le CSTB a très tôt été associé à l’expertise technique du projet et missionné par le bureau d’étude RFR en phase AVP. Christian Barré, ingénieur au CSTB, explique que "les prises au vent" du nuage, décollé du corps du bâtiment et constitué par 14 gigantesques voiles de verre, ont rendu nécessaires plusieurs études afin de récolter les données utiles pour le dimensionnement des structures : "De nombreuses mesures ont d’abord été effectuées sur le terrain de construction afin d’évaluer l’impact de l’environnement sur la nature des vents rencontrés dans la région parisienne. Les valeurs collectées in situ ont été reproduites en soufflerie dans leurs dimensions spatiales et temporelles, comme la longueur des tourbillons et les variations de vitesse en fonction du temps. Des capteurs installés sur une maquette du projet réalisée en frittage de poudre ont ensuite permis de caractériser leurs effets et de quantifier les pressions présentes dans les ouvrages."

Au final, trois niveaux d’études ont permis d’acquérir des données pour le dimensionnement local des vitrages, le dimensionnement semi-global de chacune des voiles du nuage ou pour celui, global, des fondations et du noyau sur lequel reposent les voiles par l’intermédiaire d’une structure mixte en bois et métal.

Au regard de la richesse formelle du bâtiment et du degré d’exigence de la maitrise d’œuvre, le CSTB a par ailleurs mis ses compétences au service de la sécurité incendie et du confort des usagers. Des études de confort au vent et à la pluie ont par exemple été effectuées pour les terrasses accessibles. Pour ces mêmes terrasses accessibles, des études sur la localisation des trappes de désenfumage et sur la diffusion des fumées ont été réalisées afin d’évaluer la température et la qualité de l’air en cas d’incendie sur ces zones en plein air mais ouvertes au public.

Sous la direction de Karine Leempoels, les experts "enveloppe" du CSTB ont également été mis à contribution : "Nous avons travaillé très en amont avec les bureaux d’étude TESS et RFR afin de définir les exigences applicables aux ouvrages et identifier les points critiques." Le CSTB a travaillé sur toutes les enveloppes du bâtiment (nuage de verre et corps de bâtiment appelé Iceberg, les habillages de parties opaques et les enveloppes vitrées), à un stade où il existait encore plusieurs versions alternatives en termes de matériaux, de techniques constructives présentant des niveaux variables de performances thermique, de durabilité ou de contraintes de maintenance. Les phases d’analyse concernent également les transferts de charges, les risques de condensation, les questions d’étanchéité ou de performance au feu. Plus globalement, sa mission de consultance s’étend à la définition des justifications qui devront être apportées par les titulaires des différents lots dans le cadre de leur marché et pour la préparation des dossiers d’Appréciation Techniques d’Expérimentation qui devront répondre à l’exception architecturale et innovante d’une Fondation pour la Création qui porte déjà bien son nom.