Archives

Carte blanche à Alain Maugard : du bâtiment à la ville durable

Une situation à haut risques

"Si les bâtiments HQE® et les écoquartiers sont toujours incontournables en termes de développement durable, il faut néanmoins désormais changer de braquet et passer à l’échelle supérieure, celle de la ville durable." Le ton est donné. "Depuis des décennies, on assiste à une tendance lourde : celle de la montée en puissance du pouvoir économique des mégalopoles, observe-t-il. Si les préoccupations liées à leur croissance économique et au bien-être social de ceux qui y résident restent de mise, la grande nouveauté, aujourd’hui, concerne l’ampleur du problème environnemental créé par les villes elles-mêmes. L’offre abondante d’énergie à l’origine du grand boom économique des deux siècles passés n’est plus d’actualité. Place maintenant à la maîtrise de la demande, ce qui va de pair avec l’émergence d’une notion essentielle : l’efficacité énergétique."

Actuellement, la consommation d’énergie s’organise autour de deux types de demandes : celle nécessaire à la production des biens industriels et agricoles ainsi qu’à leur transport, d’une part ; celle découlant de la civilisation urbaine, d’autre part. "Ce second point regroupe les besoins des bâtiments, des transports pour faire fonctionner la ville et ceux découlant du mode de vie des urbains (tourisme…), poursuit Alain Maugard. Il représente environ les deux tiers de la consommation énergétique totale et une proportion équivalente de l’émission des gaz à effet de serre. Au vu de l’évolution programmée de la population mondiale, nous avons là un réel problème à gérer !"Le nombre de citadins devrait passer de 3,3 à 5 milliards d’habitants d’ici 2030, "absorbant" la quasi-totalité de la croissance démographique de la planète. Dès à présent, il faudrait l’équivalent énergétique de trois Terre si toutes les villes fonctionnaient selon le modèle européen, contre seulement une demie en 1960. Cette empreinte écologique de la civilisation urbaine n’a cessé de se dégrader au cours des dernières décennies. Un seul exemple : la France, dont l’empreinte écologique est passée de 1 à 1,8 entre 1980 et 2008.

Visualiser cette partie de la conférence d'Alain Maugard (10 minutes environ)

Les différents paramètres de la problématique

Le problème de l’empreinte écologique des villes peut être abordé sous trois angles complémentaires : la morphologie urbaine, la gestion de la cité ainsi que les modes de vie. "En Europe, on distingue quatre types de villes au regard de l’histoire : moyenâgeuse, baroque, haussmannienne ou moderne, détaille Alain Maugard. Tous sont compatibles avec la notion de développement durable, sauf un : la ville moderne, où il faudrait impérativement recréer de la "microcentralité" (commerces de proximité…) pour faire chuter les dépenses énergétiques dues au transport. Le travail à effectuer sur la morphologie des villes passera aussi par la prise en compte d’autres paramètres comme la place de la nature au cœur des agglomérations ainsi que la densité, la forme et l’étalement urbains."

La gestion de la ville ne peut se concevoir sans une optimisation de son métabolisme. La prise en charge des "entrants" (air, énergie, matériaux…), leur transformation et le traitement des "sortants" (déchets, produits recyclés…) constituent autant de leviers pouvant avoir un impact sur l’empreinte écologique des agglomérations. "Nous disposons de nombreux moyens d’action pour réduire cette empreinte écologique, appuie Alain Maugard. Cela va des arbitrages sur les transports en centre ville jusqu’à l’accueil des handicapés en passant par la biodiversité, le retour des commerces de proximité, la création de circuits de distribution alimentaire les plus courts possible ou encore la mise en place de services communs (laverie…) pour les occupants des immeubles. Nous devons arriver à rendre la densité agréable en lui donnant une attractivité qu’elle n’a pas toujours eue."

La remise en question des modes de vie au sein des villes constitue un enjeu majeur dans la réduction de leur empreinte écologique. "En fait, si l’on y réfléchit, la notion de ville durable ne veut rien dire, lance Alain Maugard. Il faudrait plutôt parler de modes de vie durables. Ainsi, au niveau des transports individuels, il est tout à fait concevable de bénéficier du service sans posséder le bien. A Paris, le Vélib illustre parfaitement cette notion. La mobilité comme facteur de liberté : oui ! Mais cette liberté doit-elle donner le droit d’utiliser le moyen de transport que l’on veut ? Pas sûr ! Les modes de vie citadins doivent permettre aux gens d’avoir une attitude individuelle écoresponsable. Nous devons multiplier ces marges de liberté telles que celle, par exemple, qui consiste à pouvoir choisir entre une tomate qui a fait 4 000 km et une autre qui n’en a parcouru que 4. Et comme la ville ne partage plus rien sur le plan collectif, le combat en faveur de l’environnement représenterait un élément clé pour cimenter la vie en commun. On touche là à la dimension sociale du développement durable".

Visualiser cette partie de la conférence d'Alain Maugard (19 minutes environ)

Comment agir ?

La création d’écoquartiers constitue probablement le premier niveau d’une remise en cause de la gestion des villes telle qu’elle existe à présent. Le regroupement de telles structures conduira aux éco-cités, ce qui mettra d’autant plus en exergue le caractère "ringard" des villes modernes. Ainsi, des solutions impossibles à envisager sur des bâtiments isolés pourront être déployées : cogénération, réseau de chaleur, etc. Ces écoquartiers sont de véritables "agitateurs d’idées nouvelles", comme l’ont été à leur échelle les bâtiments HQE® ou les bâtiments à énergie positive (BEPOS). "Il est indispensable qu’une autorité unique prenne en mains la gestion de la ville pour tout ce qui touche le logement, les transports, l’urbanisme, l’eau ou encore l’énergie, quitte à remodeler la décentralisation telle qu’elle est conçue actuellement, souligne Alain Maugard. Il sera alors possible d’organiser une participation citoyenne, car tous ces choix de vie doivent être préalablement discutés et partagés avec les habitants. Nous devons établir un dialogue avec les citoyens afin de connaître leurs problèmes réels et ce dont ils ont envie. Ensuite, il sera incontournable de créer une "métrologie de la ville", c’est-à-dire de se doter des instruments nécessaires à la mesure de son empreinte écologique, comme cela existe déjà pour la pollution de l’air." Le financement de ces actions peut se faire de plusieurs manières : plus-values foncières réalisées par les communes suite à l’amélioration des bâtiments et des infrastructures de transports en commun, taxes carbone, péages urbains et certificats d’économie d’énergie, etc. Les solutions ne manquent pas !

Visualiser cette partie de la conférence d'Alain Maugard (8 minutes environ)

Nos chances de succès

Actuellement, les 20 % de la population la plus riche de la planète sont responsables de 80 % de l’empreinte écologique. Il est urgent que cela change. Les pays développés doivent s’accrocher à cette notion de civilisation urbaine afin de montrer l’exemple au reste de la planète. Dans ce contexte, le modèle européen possède sa chance car, même si actuellement son empreinte écologique représente l’équivalent de trois planètes, il sera moins dur à "corriger" que le modèle américain qui en demande cinq ! De plus, on aurait là un juste retour des choses : l’Europe (Orient et Occident) est – avec la Chine – à l’origine de la civilisation des villes.

Au niveau de la gestion de l’énergie, les climats froids et tempérés ont trouvé leurs solutions, contrairement – et paradoxalement – aux climats chauds. "Il est incompréhensible que l’on n’arrive pas à convertir en froid et à des prix raisonnables toute l’énergie contenue dans les photons, déplore Alain Maugard. Il y a là une des problématiques de recherche parmi les plus importantes et un vrai défi à relever. Dépêchons-nous de trouver des solutions pour les pays chauds ! Je suis certain que les technologies viendront nous aider. Je reste optimiste. Mais n’attendons pas d’être acculés au pied du mur. Prenons l’exemple des véhicules. Il existe des moyens pour les rendre propres, ce qui n’empêche nullement – bien au contraire – de garder le cap quant à la volonté de tout faire pour réduire leur utilisation en limitant les transports."

Visualiser cette partie de la conférence d'Alain Maugard (4 minutes environ)

Conclusions

Sans conteste, la civilisation urbaine doit perdurer. Il faut continuer avec la ville moderne, mais avant tout régler le péril qu’engendre son empreinte écologique démesurée. "Nous devons acquérir une autre vision pour aborder les problèmes liés à la biodiversité, à l’homme, conclut Alain Maugard. Je maintiens que tout l’enjeu sera de savoir comment nous allons amorcer la spirale du changement et la façon dont nous allons nous-mêmes souhaiter cette évolution et ne pas la subir. Nous devons réfléchir à cette civilisation urbaine nouvelle afin que nous la fassions belle, séductrice et désirable. Si l’on veut adhérer pleinement à sa transformation, il faut que l’on y prenne plaisir. Le beau a sa place dans ce modèle !"

Visualiser cette partie de la conférence d'Alain Maugard (2 minutes environ)

Des signaux faibles qui deviennent forts

Un certains nombre d’indices montrent une évolution de la mentalité des citoyens urbains. Autrefois rejetées, les voies piétonnes sont désormais réclamées, tout comme les "zones 30". Les emplacements de stationnement pour handicapés sont respectés, les Vélib rencontrent un vif succès et les jardineries fleurissent au sein des villes. Pourquoi ne pas aller encore plus loin et envisager une gestion dynamique des rues en fonction des différentes périodes de la journée, de la semaine, de l’année… : bandes de roulement plus silencieuse à emprunter obligatoirement après 22 heures, partage de la voirie avec les "rollers", fête de la musique, etc.