Archives

Les odeurs dans le collimateur

"Mesurer l’impossible", est- ce possible ? C’est en tout cas le défi qu’a lancé la commission européenne dans un appel d’offres de recherche expérimentale qui a retenu 15 thématiques différentes. Au programme : le rôle des sons dans le design des objets, la mesure du plaisir procuré par les jeux vidéo, les mécanismes de la conscience…. Et également, la mesure de la qualité de l’air perçue. Le CSTB et neuf autres experts techniques européens se sont lancés dans cette aventure qui visait deux objectifs : connaître plus précisément la perception des odeurs à travers leurs similitudes et leurs différences, et développer de nouveaux capteurs pour mesurer les odeurs. Dans quel but ? Aider à mieux contrôler la qualité de l’air dans les bâtiments et les véhicules mais aussi accompagner les protocoles d’évaluation par les matériaux, voire contrôler leur qualité en sortie de production. Après trois ans de travaux, les experts ont rendu leur copie en août 2009. Retour sur un travail qui explore l’inexplorable.

Sentir et ressentir

Tout a commencé en Suède par des tests en aveugle. Une trentaine de matériaux ont ainsi été sentis, deux par deux, par des volontaires et notés (de 0 à 10) en fonction de leur similitude ou dissimilitude. L’odeur de la moquette se rapproche-t-elle de celle du lino ? Le parfum de la peinture est-il diamétralement opposé à celui du papier vieilli ? Et dans quelle mesure ? Au total, 870 combinaisons ont été mesurées. "Il a ainsi été possible de dresser une cartographie des odeurs, au même titre que le nuancier pour les couleurs, commente Olivier Ramalho, ingénieur recherche au CSTB. C’est une grande première. Et on s’est aperçu que la classification finale des odeurs était sensiblement la même d’un sujet à un autre, même si chacun utilisait ses propres paramètres pour les classer."  12 odeurs référentes ont ainsi été identifiées, pour jouer le rôle de "chef de groupe" d’une catégorie d’odeurs.

En parallèle de ces tests, les équipes du CSTB - et leurs équivalents en Allemagne -, ont décortiqué chaque odeur de plusieurs matériaux de construction afin d'identifier les molécules responsables. Cet examen minutieux a permis de révéler que les composants de l’odeur des produits  provenaient pour l'essentiel du vieillissement des matières naturelles (lin, bois, toile de jute) qui les composent ou pour les autres produits de la dégradation de polymères synthétiques.

Prototype de nez artificiel -
Cliquer pour agrandir

Un début prometteur

L’ensemble de ces résultats d’analyse en laboratoires se sont révélés précieux pour concevoir un système de capteur voué à simuler le fonctionnement olfactif humain. Restait à tester ce système grandeur nature et à le comparer avec le ressenti de notre organe nasal en chair et en os. Les collaborateurs du CSTB se sont prêtés au jeu en mettant… leur nez à disposition lors d’un test organisé sur le site de Champs sur Marne. Une étude comparative a également été menée chez le constructeur automobile Renault, l’un des partenaires du projet, dans l’habitacle d’une Scenic et d’une Clio. Le capteur était-il aussi sensible que le nez ? Tel était l’enjeu à travers une batterie de tests. Conclusion ? "Il reste des ajustements à faire sur le système, notamment au niveau de la sensibilité de l’intensité de l’odeur et de la prise en compte de l’humidité de l’air, répond Olivier Ramalho. Les marges de progrès sont encore importantes. Mais ce travail collégial multidisciplinaire qui a rassemblé des chimistes, des psychologues, des fabricants de capteurs, a été très enrichissant. Et nous avons réussi à obtenir une première version d’un espace des odeurs appliqué aux matériaux." Autre apport de cette grande étude européenne : une meilleure connaissance des composés odorants qui souligne le rôle important de la présence des matières naturelles dans l’apparition et l’évolution de l’odeur. En résumé, une première expérience pleine de promesses pour les années à venir.