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L'acoustique, autre notion de confort

Quel est l'objet de la science de l'acoustique du bâtiment ?

Née sous l'impulsion des Allemands, la science de l'acoustique s'est vraiment formalisée il y a une cinquantaine d'années. Il s'agissait, à l'époque, de mettre au point des méthodes permettant, à partir de résultats obtenus en laboratoire sur des produits, de savoir comment les bâtiments allaient se comporter une fois ces produits mis en œuvre.

C'est ainsi qu'est née une série de normes de mesures acoustiques concernant la mesure en laboratoire des performances acoustiques de produits. Au fil des ans, les connaissances évoluant, ces normes ont été améliorées pour offrir une plus grande précision et en faisant appel aux progrès de l'informatique, (à l'origine le calcul de la durée de réverbération se faisait avec un chronomètre…). Mais les normes qui permettent de caractériser les performances acoustiques d'une fenêtre, d'une paroi, d'un revêtement de sol ont une même base théorique qu'à l'origine. Il est d'ailleurs très difficile de changer la norme sans compromettre les considérables banques de données accumulées depuis des décennies et qui représentent une réelle richesse.

Tout ce dispositif a pour objet de quantifier le bruit qui parvient à l'oreille de l'utilisateur - occupant. Et cette quantité de bruit qui peut venir de chez son voisin ou d'un trafic routier, ferroviaire ou aérien, est directement liée à la gêne et aux effets possibles sur la santé. Cette question est essentielle et représente une bonne partie des activités du Département Acoustique du CSTB. Une autre notion, rattachée à la précédente, est maintenant prise en considération: celle de l'intimité. Elle part du principe qu'un habitant a le droit d'avoir un usage normal de son logement et de parler sans être entendu par son voisin. Toutes ces notions se traduisent sous forme d'exigences sur les rubriques classiques que l'on retrouve dans la plupart de réglementations et labels existant : isolement aux bruits aériens, aux bruits de choc, bruit d'équipement et réverbération.

Mais on parle aussi de plus en plus de confort acoustique. Quelle est la différence ?

Je vais vous donner quelque exemples : lorsque vous marchez sur un revêtement de sol dur avec des chaussures à semelles rigides, vous gênez les personnes qui sont dans la même pièce et parfois vous-même avec le bruit émis à chaque pas. A tel point que vous vous êtes amenés à modifier votre façon de marcher de peur de gêner votre voisinage ou pour éviter de produire un bruit que vous jugez désagréable. Ce phénomène est particulièrement sensible dans les couloirs d'hôtel et les lieux hospitaliers. Autre exemple où la source de bruit est d'origine naturelle et où le fauteur ne peut être accusé d'incivilité : le bruit de la pluie sur le vitrage d'une fenêtre de toit. Lorsque le bruit est modéré, il est plutôt considéré comme sympathique tant qu'il permet de rester en contact avec le monde extérieur et la diversité des conditions météorologiques. Si le bruit est plus important, il peut perturber la communication, l'écoute de musique, ou provoquer le réveil. Il importe donc de trouver un moyen de caractériser les performances des produits concernés par ces nouveaux bruits.

Où en êtes vous dans le travail concernant le bruit de pas ?

Premier objectif : quantifier le bruit émis par une personne qui marche sur un revêtement de sol. La France a publié en 2002 un texte de norme particulièrement en avance sur le sujet, puisqu'elle a été la première à avoir développé une méthode qui permette de tester la sonorité des revêtements de sol à la fois pour le voisin et dans la pièce elle-même. Ce code d'essais pourrait être repris au niveau européen, même s'il convient de faire quelques concessions à nos amis Suédois qui aimeraient caractériser le bruit par les "sones".

Second objectif : savoir qualifier la qualité du bruit produit. C'est également une demande au niveau européen puisque le Comité technique « Acoustique du bâtiment » (TC 126) que je préside a été saisi d'une demande par les Autrichiens et les Suédois qui souhaitent pouvoir objectiver la qualité du bruit émis : est-ce un bruit agréable ou pas ?

Mais n'est-on pas là dans le domaine du subjectif ?

Beaucoup moins qu'on pourrait le penser. Ainsi, quand on fait manger du bon chocolat à un panel de dégustation, 80% des goûteurs disent qu'il est bon… Je ne prends pas cet exemple au hasard, puisque les méthodes que nous utilisons pour juger de la qualité acoustique sont les mêmes que celle de l'industrie alimentaire. Il y a un jury qui "goûte" avec l'oreille un certain nombre de sons et les classe, même si des paramètres comme la culture, l'âge, l'environnement social du "goûteur" joue dans cette appréciation. Pour certains bruits, un consensus se dégage : le bruit d'une porte qui grince ne sera jamais qualifié d'agréable.

Ainsi, le CSTB essaie de caractériser la qualité du son émis par certains composants. Par exemple, on a travaillé sur le bruit d'un interrupteur. Il est arrivé qu'un industriel mette au point un interrupteur qui, une fois installé, fait un bruit "agréable", mais qui produit un horrible bruit de "casserole" quand l'architecte à qui il est présenté l'actionne dans sa main. Ce qui le rend invendable.

Parfois, il y a des bruits utiles et agréables qu'il faut se garder de supprimer car ils traduisent le bon fonctionnement d'un appareil : le doux ronronnement d'un chaudière est plus rassurant que le bruit de dilatation d'un convecteur qui fait cependant beaucoup moins de bruit.

Nous travaillons actuellement avec deux partenaires sur une étude commandée par l'Ademe (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie) pour caractériser les bruits émis par les parquets et certains stratifiés. En effet, ces revêtements présentent des avantages certains (en termes d'entretien ou d'hygiène), mais posent souvent des problèmes acoustiques. Pour cela, on utilise les méthodes des jurys de l'industrie alimentaire. On présente aux testeurs un certain nombre de sons enregistrés et on leur demande de les regrouper par analogie. Quand ils sont classés par paquets, apparaît sur l'écran un certain nombre de mots qui peuvent caractériser le son et ces mots sont rattachés aux paquets. Puis on arrive par une analyse multifactorielle à faire la relation entre ce qui est agréable et désagréable. L'étude est en cours. Mais manifestement la qualité du son émis par des parquets est extrêmement variée.

Avec la notion de qualité acoustique, on est donc au-delà de la nuisance sonore, pour s'adresser plutôt à des notions de plaisir d'usage.

Quel est le rôle du CSTB dans cette nouvelle approche ?

Nous avons une offre réelle dans ce domaine. Je suis convaincu que le principe de juger un produit du bâtiment sur sa qualité acoustique va se répandre. Pour certains équipements, c'est évident (volets roulants, portes de garages…). Pour d'autres, c'est en cours : par exemple, la qualification du bruit de la pluie sur une véranda ou sur une fenêtre de toit. Une norme Internationale, à laquelle le CSTB a grandement contribué, est au stade de l'enquête ; et un dispositif opérationnel de mesure est à la disposition des clients au CSTB. Pour l'industriel, c'est un plus commercial certain, car le bruit émis est pour l'utilisateur un élément important de son jugement sur la qualité du produit. Avec cette notion de confort acoustique, on est au delà du réglementaire. Pour les industriels, il s'agit d'une approche marketing, elle-même intégrée dans une stratégie commerciale. Et le CSTB peut les aider à la mettre en place.

Mesurer les nouvelles demandes du marché

Entretien avec Jean-Baptiste Chéné, Chef de division au Laboratoire d'essais acoustiques.

En quoi votre laboratoire participe-t il au développement de la notion de confort acoustique ?

Les nouveaux besoins du marché se traduisent tout d'abord par des recherches prénormatives, dont la finalité est la rédaction de norme d'essai. Ce travail est effectué par les équipes de recherche (la nôtre se situe à Grenoble). Le laboratoire intervient dans la phase pratique avec les premiers essais de mise au point, puis les essais de validation. L'objectif est de faire un référentiel techniquement fiable et solide. Je citerai deux exemples : la mesure de la sonorité à la marche et du bruit de pluie.

La norme qui traite de la sonorité à la marche est maintenant au point. Grâce à une norme support bien décrite et un process en laboratoire bien maîtrisé, nous pouvons caractériser la sonorité de tout type de revêtement de sol. Les professionnels du revêtement de sol résiliant nous ont même demandé d'intégrer cette notion de sonorité à la marche (et donc de confort acoustique) à l'intérieur de leur référentiel de certification UPEC A. C'est l'exemple type d'une demande du client étudiée au niveau prénormatif et normatif à Grenoble et mis en pratique dans ce laboratoire.

Sur le bruit d'impact de la pluie on a beaucoup travaillé avec l'équipe de Grenoble et même si la norme n'est pas encore publiée, elle est quasiment figée. Et cela fait maintenant un an que nous faisons des campagnes d'essais sur ce référentiel pour des industriels d'horizons très différents (fenêtre de toit, couvertures agricoles, panneaux de véranda, automobiles, vitrage…).

Les industriels étant volontaires dans leur démarche de certification, vos interlocuteurs sont davantage les services marketing que les services techniques. Ce changement d'interlocuteurs n'est-il pas nouveau pour le CSTB ?

Effectivement, pour ce qui concerne la mesure du bruit de pluie et même la sonorité à la marche, c'est souvent des demandes du marché relayées par les services marketing, qui voient très bien la dimension commerciale de la démarche. Cette évolution est intéressante car aujourd'hui ces équipes ont de plus en plus de pouvoir, notamment pour certaines orientations techniques.

Dans ce laboratoire, nous proposons donc aux industriels des outils qui leur permettent de mieux répondre aux nouvelles demandes du marché.