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Les enjeux sociaux et environnementaux du développement urbain : la question des inégalités écologiques

Alors que les inégalités sociales, économiques et territoriales ont fait l'objet de nombreux travaux scientifiques, la thématique des « inégalités écologiques » est encore peu étudiée. Celle-ci suppose un lien entre les inégalités sociales d'accès à la ville (accès physique et symbolique), et les inégalités résultant de l'exposition aux nuisances urbaines et aux risques environnementaux (risques industriels, naturels…). On peut alors se demander comment les collectivités territoriales peuvent élaborer une approche intégrée du développement urbain qui articule le social et l'environnement.

Lydie Laigle, sociologue et économiste, et Viola Oehler, géographe et urbaniste, du laboratoire Mutations Techniques et Sociales du CSTB, ont bâti, à partir d'une recherche bibliographique et des entretiens réalisés auprès d'experts et de responsables de l'urbain, un cadre d'analyse pour caractériser ces « inégalités écologiques ».

Elles ont identifié quatre types d'inégalités qui souvent se cumulent: des inégalités territoriales issues de l'héritage social et écologique des territoires de la ville (spécialisation sociale des quartiers résidentiels enclavés comportant des friches industrielles…), des inégalités d'accès à l'urbanité et à la qualité du cadre de vie (par des choix réduits de lieux de résidence et de mobilité, un accès inégal aux services et équipements…), des inégalités par rapport aux nuisances urbaines et aux risques (proximité d'infrastructures et d'industries polluantes…) et des inégalités dans la capacité d'agir sur l'environnement (par la participation sociale et l'interpellation de la puissance publique sur les nuisances…).

Six villes

L'étude a couvert six villes et leur agglomération, dont quatre en France (Lille, Rennes, Saint-Denis et Strasbourg) et deux en Allemagne (Leipzig et Nuremberg). Il ressort de la comparaison européenne que la qualité de l'environnement peut être un facteur de différenciation des territoires de la ville et peut venir renforcer d'autres facteurs de ségrégation urbaine (aspects fonciers et économiques…). Or la prise en compte d'un tel phénomène s'opère de manière différente dans les deux pays.

A partir des années 1980, on a assisté en France, à une intégration progressive de la dimension sociale au sein des politiques urbaines (du fait notamment de la « politique de la ville »). Tandis qu'en Allemagne, depuis la fin des années 1970, sous la pression de l'opinion publique, il a davantage été tenu compte de l'environnement dans les politiques urbaines.

Aujourd'hui, la plupart des villes françaises et allemandes sont dans une phase d'expérimentation pour intégrer, dans chaque cas, le « maillon manquant ». Or il s'avère que l'élaboration d'une approche intégrée, articulant le social et l'environnement, n'est pas aussi aisée qu'on pouvait le penser.

Les villes mettent en oeuvre des outils (adaptation des documents de planification urbaine et de maîtrise foncière…), des dispositifs d'action (gestion territorialisée des projets et contractualisations…), des démarches transversales (partenariats entre services techniques des villes et des agglomérations, avec les associations environnementales…) et une plus large participation citoyenne. Toutefois celles-ci n'en rencontrent pas moins des difficultés en relation avec la lenteur des évolutions législatives et institutionnelles, les résistances sociales et politiques, les conflits d'intérêts induits par de tels changements.

L'analyse des situations locales montre l'existence d'un certain nombre d'obstacles à l'articulation des aspects sociaux et environnementaux. Parmi ces obstacles nous avons, entre autres, noté l'importance de la dimension économique par rapport aux enjeux environnementaux dans une Europe économiquement affaiblie, le manque de portage politique des questions environnementales, la difficulté à établir de nouveaux partenariats entre les acteurs de l'urbain, et le statut parfois incertain de la parole des habitants dans les processus de « co-production » de la ville.

Cette étude exploratoire qui a permis une première approche des « inégalités écologiques » et des politiques locales de développement durable pourra être poursuivie. Dans le cadre de l'appel d'offre MELT-MEDD « Politiques territoriales et développement durable », Lydie Laigle et Viola Oehler vont de nouveau porter leur attention sur cette question, en approfondissant l'analyse des situations d'inégalités dans des villes allemandes et françaises, en recensant les indicateurs qui permettent de caractériser ces situations et en tirant des enseignements de l'analyse des politiques publiques territorialisées.