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Gestion de l'eau en habitat social

La communauté d'agglomération d'Evry et la Société des Eaux de l'Essonne souhaitent tester les conditions de mise en œuvre de l'individualisation des contrats de fourniture d'eau dans différents immeubles d'habitation. Pour cela, elles ont confié à Cité Services et au CSTB une étude de faisabilité. Les sociologues du CSTB ont travaillé, d'une part, avec deux gestionnaires HLM d'Evry, d'autre part, avec des locataires.

Nous présentons ici les résultats des entretiens réalisés avec les bailleurs. Le questionnement a abordé les multiples aspects de la gestion de l'eau : aspects techniques et responsabilité des réseaux, aspects organisationnels (gestion des charges, mode de facturation et suivi des consommations), aspect social et relation avec les usagers, relation avec les partenaires.

Nous avons organisé notre analyse selon 3 modes de gestion et de facturation de l'eau. L'exposé de ces 3 types de gestion doit permettre de mieux comprendre les différents modes de gestion de l'eau et ainsi de faciliter la prise de décision pour un éventuel changement de type de gestion.

Mode de gestion N°1 : répartition et facturation des consommations d'eau fondées sur le pourcentage de surface habitable

Dans les immeubles retenus à Evry, un compteur général enregistre la totalité des consommations de chaque immeuble. Il n'y a pas de compteurs divisionnaires.

Les consommations d'eau sont facturées à chaque locataire en fonction de la part de m² habitable du logement dans la surface totale des logements de l'immeuble. Les bailleurs estiment que cette procédure est simple et mobilise peu de personnel car il leur suffit d'imputer un coefficient à chaque logement. En revanche, elle a pour conséquence d'alourdir le poids des charges locatives, (l'eau peut représenter jusqu'à un quart des charges). Elle constitue également un facteur potentiel d'augmentation des impayés des locataires envers le logeur, les impayés d'eau s'ajoutant aux impayés de loyer. Enfin, elle implique de payer au distributeur d'eau des consommations non encore récupérées auprès des locataires, ce qui peut représenter un risque pour la gestion.

Les gestionnaires de logements considèrent que la répartition des consommations d'eau au m² de surface habitable ne contribue pas à responsabiliser les habitants : ceux-ci ne chercheraient pas à maîtriser la dépense ni à préserver la ressource ; ils ne surveilleraient pas non plus leurs équipements.

Dans ces immeubles, des contrats d'entretien des robinetteries permettent, en maîtrisant les fuites, de réduire les consommations. (L'installation d'équipements économes pourrait également être une solution).

Mode de gestion N°2 : répartition et facturation des consommations d'eau fondées sur le comptage individuel et gérées par le bailleur

Un ou plusieurs compteurs divisionnaires enregistrent les consommations d'eau de chaque logement. Un compteur général comptabilise la totalité des consommations de l'immeuble. Sur la base d'index relevés par un prestataire, les gestionnaires facturent aux locataires la consommation des compteurs divisionnaires. Les consommations des parties communes sont imputées aux habitants au prorata de leur surface habitable. Outre le montant des consommations, les factures comportent un coût de location et d'entretien des compteurs mais pas de frais d'abonnement.

Les bailleurs sociaux rencontrés à Evry estiment que cette solution est la plus lourde à gérer. Ils considèrent que la gestion de l'eau ne fait pas partie de leur métier. Ils font le parallèle avec les autres services à l'habitat que sont la distribution d'électricité, de gaz, de télécommunication et ne comprennent pas pourquoi l'eau connaît un traitement différent. Ils ne voient pas pourquoi le bailleur doit se substituer au distributeur d'eau.

Par ailleurs, le relevé des compteurs divisionnaires implique un acteur supplémentaire avec lequel doit traiter le bailleur. Ce relevé constitue souvent un problème car il nécessite de pénétrer dans les logements. Pour les index qu'il n'a pas été possible de relever, les gestionnaires d'immeubles imputent un forfait de consommation d'eau aux locataires concernés.

Mais les bailleurs jugent que la facturation des consommations sur la base du comptage est la plus juste dans la mesure où elle est fondée sur les consommations réelles. Ils estiment également que ce mode de gestion de l'eau a pour conséquence d'inciter les locataires à maîtriser leur mode de vie.


Le compteur général définit une limite de propriété entre les intervenants. Il constitue également un indicateur de l'état sanitaire et hydraulique des réseaux. En particulier, la différence entre le relevé du compteur général et la somme des compteurs divisionnaires permet d'identifier les fuites sur le réseau collectif.

Mode de gestion N°3 : répartition et facturation des consommations d'eau fondées sur le comptage individuel et l'abonnement direct au concessionnaire

L'individualisation des contrats de fourniture d'eau se fait sur la base d'un comptage des consommations individuelles et des parties communes à l'aide de compteurs divisionnaires (comme dans le mode de gestion précédent). En revanche, la gestion de l'eau et la facturation des consommations ne sont plus assurées par le bailleur mais par le distributeur.

Les gestionnaires d'immeubles estiment qu'un passage à l'abonnement direct implique la suppression du compteur général alors que le Syndicat Professionnel des Distributeurs d'Eau considère que son maintien est essentiel pour définir les responsabilités. Ils s'interrogent également sur le cas des logements où la présence de plusieurs compteurs nécessiterait la multiplication du nombre d'abonnements.

Néanmoins, les bailleurs sociaux sont très favorables à cette solution qui réduirait le montant des appels de charges adressés aux locataires et les libéreraient du problème des impayés d'eau. Mais un accord collectif avec les habitants est nécessaire pour adopter cette solution. Cet accord est le fruit d'une négociation dont un des éléments est l'augmentation du montant des factures d'eau des habitants dû à l'abonnement individuel.

De leur côté, les distributeurs d'eau recherchent la relation directe avec les consommateurs du service, relation qui n'existe pas avec les locataires en habitat collectif. Cependant, ils sont préoccupés par le nouvel équilibre financier qu'ils devront trouver : rapport entre le niveau des consommations, le montant de la part fixe de l'abonnement et l'intégration des impayés. Enfin, ils ne sont pas favorables à la possibilité de confier le relevage des compteurs à un tiers, comme l'envisage la loi.

Le choix d'un mode de gestion de l'eau est une décision sociale

Le choix d'un mode de gestion de l'eau soulève des questions qui se réfèrent d'une part aux notions d'égalité et d'équité, d'autre part à des normes culturelles de consommation.

Qu'il s'agisse du comptage individuel des consommations ou de l'individualisation des contrats de fourniture d'eau, la prise de décision comporte un arbitrage entre deux tendances incarnées par le principe d'« égalité » et celui d'« équité ».

La notion d'égalité signifie que tout usager bénéficie de la même manière des services publics, quel que soit le montant de ses ressources. Mais dans le cas de l'eau cette notion est restreinte pour plusieurs raisons : le prix de l'eau n'est pas le même partout en France, certains locataires devront supporter le coût de plusieurs abonnements.

Le terme d'équité entend que les populations aisées ou pauvres font un effort financier proportionnellement semblable vis-à-vis du service, c'est-à-dire que les populations défavorisées bénéficient d'aides publiques pour préserver leur pouvoir d'achat. Ceci ne peut se faire que si le service est bien identifié, comme dans le cas de l'individualisation des contrats. Mais un des enjeux de la loi SRU étant la gestion des impayés, comment faire sachant que le Fonds Solidarité Logement est réduit et que les acteurs freinent à récupérer cette charge ?
Par ailleurs, le comptage individuel et l'abonnement direct viseraient à responsabiliser les usagers à l'égard de leurs consommations. Cette idée, fréquemment avancée, sous-entend l'existence d'une norme moyenne de consommation d'eau pour chaque type de logement.

Cette norme moyenne de consommation aurait pour conséquence de faire peser une norme d'usage. Celle-ci tendrait à édicter en principe le fait qu'il faut consommer en fonction de ses ressources financières et qu'il est nécessaire de développer des pratiques d'économie lorsque l'on ne peut pas payer. Des pressions plus ou moins directes venant des bailleurs ou des services sociaux s'exercent pour « éduquer » les populations qui consomment un volume d'eau supérieur à leur capacité financière. Mais ces pratiques d'économie ne risquent-elle pas, d'un autre côté, d'entrer en contradiction avec les besoins fondamentaux, en particulier les normes d'hygiène de la société d'aujourd'hui ?