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A la rencontre de Claude Vasconi

Votre travail architectural s'exprime dans une diversité de projets. Est-ce une volonté d'indépendance qui vous guide vers ce terrain d'expression généraliste ?

Notre agence a en effet une image et une clientèle très diversifiées. Cette image est le produit de notre choix : vivre au rythme des concours en gardant la liberté de sélectionner les appels d'offres auxquels nous répondons. C'est une exigence difficile à vivre, les moments fastes de succès ne faisant pas oublier les échecs, mais ô combien passionnante.

Avec les concours, nous échappons à la spécialisation excessive qui porte en elle le risque de moindre renouvellement. Notre champ d'intervention reste donc très ouvert et recouvre toutes les dimensions touchant à l'urbain, l'architecture ne pouvant, selon moi, en être dissociée. Dans les projets que nous avons réalisés se côtoient des grands projets d'urbanisme, des grands équipements publics mais aussi des ouvrages comme l'Opéra de Montpellier, le Palais de Justice de Grenoble, le Palais des Congrès de Reims, des logements sociaux, la reconversion d'une grande friche industrielle ou encore de l'architecture industrielle. Dans ce domaine très intéressant où l'utilitaire se pare d'un langage architectural nous avons eu de beaux projets, notamment celui de l'usine d'incinération de la municipalité de Rouen. Chaque commande nous confronte à un sujet neuf, c'est excitant et ce qui rend ce métier si passionnant.

Sur quoi se forge votre vision de l'architecture ?

Deux points me semblent essentiels. L'architecture doit être la résultante d'une justesse urbaine et d'un process parfait. Comme dans une usine de haute précision tout doit être réglé précisément, au plus juste et jusqu'au plus petit détail. L'architecture doit répondre à un process extrêmement juste parce qu'il y a toujours une manière plus appropriée qu'une autre de répondre et de se poser sur un site.

Autre point important à mes yeux : la dimensionnelle. Dans mon travail, je ne sais pas différencier l'échelle territoriale du détail bien fait. Il y a du Vauban dans l'idée territoriale que je défends. La culture de l'architecture, c'est apprendre à voir loin pour arriver, à travers tout le processus de la création d'un projet, au détail bien fait. Le travail est gigantesque et ne peut et ne doit être fragmenté ou rompu car tout est continuité. Pour cette raison, j'estime que le suivi opérationnel de chantier constitue une dimension importante de notre métier. Cela nous permet de rester en phase avec la réalité du savoir-faire des entreprises et de l'accompagnement de ce savoir-faire. Les interactions et les échanges nous nourrissent et chaque expérience construite permet d'aller plus loin dans la suivante.

Dans l'ensemble de vos réalisations, quelle est l'oeuvre dont vous êtes le plus fier ?

Question redoutable ! Comme pour les enfants, j'ai toujours une affection particulière pour le dernier né parce que c'est celui auquel je me suis consacré pendant plusieurs années. En ce moment, mon attachement va au nouveau siège de la CCI de Luxembourg.

Ce bâtiment de 40.000 m² de bureaux intégrant un centre de conférence, un centre de formation, … est un projet novateur car il intègre nombre d'inventions techniques et d'innovations technologiques. J'ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec les Luxembourgeois car ils ont une culture, une exigence de la qualité qui entraîne en permanence à toujours faire mieux. Grâce à cette posture, il nous a été possible d'introduire dans le projet toutes les exigences environnementales, de pérennité, de qualité en termes de performances énergétique, d'isolation thermique, de consommation d'énergie, environnementale (recyclage des matériaux, solaire…).

Non seulement, le projet nous a beaucoup apporté car l'exigence est un formidable moteur de dépassement mais il a aussi fait progresser la recherche expérimentale. A titre d'exemple, ce bâtiment entièrement construit en acier et en verre présente une ossature d'acier non protégée. Ce choix a été rendu possible par la mise au point d'une théorie de feu naturel et des modes de calcul dispensant de protection par simple surépaisseur d'acier. Nous avons également supprimé les faux plafonds et utilisé leur prix pour développer des coffrages perdus en acier inoxydable sous les planchers, donnant un rendu magnifique aux plafonds. La temporisation par réseaux d'eau glacée ou chaude dans les planchers en béton apporte une climatisation très douce tandis que le chauffage solaire équipe toutes les toitures.

Outre ces innovations, deux aspects font la nouveauté de ce projet : d'une part, il est entièrement réalisé en matériaux naturels et d'autre part, reste dépouillé de tout ce qui est inutile, ce qui est rare en architecture de bureaux. Enfin et bien que ce bâtiment soit très dense (40 000 m² sur 1 hectare), on y respire partout et tout y est lumineux.

Parler de mon dernier-né ne signifie cependant pas que j'oublie les autres. J'adore revoir mes projets 10 ans après car la dimension de la pérennité me semble capitale en architecture. Mon plus grand motif de fierté est sans doute là. Lorsque je constate que des projets vieux de dix ans sont aussi beaux aujourd'hui qu'au premier jour !