Actualités

Edouard François : « Je ne travaille pas sur la forme… Je cherche des confrontations de matières »

Edouard François

Pour la troisième année consécutive, l'association Archinov et le CSTB, en partenariat avec Le Moniteur, ont organisé dans le cadre du salon Architect at work une « Carte blanche » confiée à l'architecte Edouard François, dans le cadre d'un cycle « rénovation ».

L'architecture est-elle une discipline sérieuse ? Certains auditeurs, présents à la conférence d'Edouard François, pourraient en douter. « Que cachent cette légèreté et votre goût pour la provocation ? », interpelle l'un d'eux. « Un profond désespoir ! », répond-il, rieur. L'immeuble parisien du 17ème arrondissement, orné de gros pots de fleurs en Ductal, ne serait-il qu'une énième boutade ? Les logements de Champigny-sur-Marne, une utopie qui n'aurait jamais dû sortir d'un carton à dessin ?

« Je suis un architecte contextuel », aime à répéter Edouard François. A Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), le territoire est composé de pavillons, de « barres » et de maisons bourgeoises. Un territoire typique de banlieue où la volonté de se différencier de l'architecture locale paraît légitime : « On m'a appelé pour fabriquer du centre-ville. On m'a demandé de faire du beau. Mais cela n'avait aucun sens de faire de la beauté à cet endroit. Elle aurait été comme abandonnée en plein carrefour », oppose-t-il. « Il y a un révisionnisme assez grave : personne ne veut prendre en compte les années soixante-dix. » Du contexte au concept, l'architecte a créé une sorte d'amoncellement chaotique en reprenant et en superposant trois archétypes de bâtiments locaux. Sans articulation, sans interpénétration, juste les mots de vocabulaire sans la grammaire en quelque sorte. La posture est inédite, mais l'ensemble amorce l'idée qu'un centre-ville est désormais possible : les maisons bourgeoises du bas invitent à la sociabilité, les barres du milieu donnent l'impression de densité, tandis que les pavillons du haut accréditent les effets produits par les deux typologies précédentes. 

Matière contextuelle

Autre contexte, même approche au croisement de l'avenue des Champs-Élysées et de l'avenue Georges V, où Edouard François a systématisé l'art du copier-coller pour l'hôtel Fouquet's Barrière. Dans un registre décalé, il a réglé l'unification de sept immeubles existants en reproduisant plusieurs fois la seule façade authentiquement haussmannienne de l'îlot. Une occasion d'expérimenter un nouveau concept : le « moulé-troué », autrement dit une absence de correspondance entre la modénature de façade des vrais-faux pastiches haussmanniens en pierres grises et les emplacements des percements qui, pour leur part, dépendent strictement des aménagements intérieurs ! « Je ne travaille pas sur la forme », justifie l'architecte. Recombiner des figures du patrimoine local relève d'une expérimentation sur la matière : « Je cherche des confrontations de matières. Le travail en maquette est donc essentiel. Le dessin en couleur ne marche pas parce que la matière est quelque chose de plus sensuelle. C'est en essayant les matières dans une maquette que l'on peut voir si les choses se rencontrent et si l'alchimie peut se produire avec un site. » Au high tech, Edouard François oppose le low tech. Intérieurs bruts et façades bardées de ganivelles en bois de chataignier à Louviers, murs en gabions et camouflages sous filets des réseaux de ventilation à Chartres, vitrages collés artisanalement à la silicone et papiers muraux imprimés de photos de briques à Clichy… : tout est bon à prendre, dès lors qu'il s'agit de composer avec la matière. « On veut faire vivre les gens entre quatre murs en plâtre. Mais on va finir par les rendre fous parce que ce n'est pas ce qu'ils veulent. Ils veulent de la toile de jouy, du parpaing brut et de la brique mal assortie ! »

« Green » n'est pas anti-contextuel

Edouard François est souvent qualifié d'architecte « vert ». La raison tient sans doute à l'omniprésence de la matière végétale dans certaines de ses réalisations. « Mais j'ai toujours employé la végétation de manière contextuelle », se défend-il. « Et j'ai refusé de réaliser la façade végétale que l'on m'avait suggérée pour l'hôtel Fouquet's Barrière, situé dans le triangle d'or, à Paris. »

Sans trahir ses convictions, l'architecte s'est aventuré dans le projet d'une tour qui crève le plafond réglementaire parisien. Une tour de 50 mètres baptisée la Tour de la biodiversité. Susceptibilité à l'égard de la grande hauteur oblige, « le skyline est politiquement correct, mais ce projet va réellement contribuer à ramener de la biodiversité dans la capitale », assure-t-il. Végétalisée avec des plantes sauvages collectées par l'école Du Breuil, « la tour ensemencera son territoire sous l'action des vents. » Pour ce faire, « certaines plantes pousseront dans des tubes de 50 cm de diamètre par 3,50 m de long. Une idée qui, depuis plus de deux ans, a nécessité des essais sur des espèces chasmophytes, connues pour leur aptitude à pousser dans les infractuosités », s'enthousiasme l'architecte diplômé de l'Ecole nationale des ponts et chaussées et de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

Presque aussi sociales qu'écologiques, deux autres tours, griffées par la Maison Edouard François, devraient bientôt voir le jour dans la ZAC de Bonne, à Grenoble. L'une d'elles disposera de grandes terrasses sur sa partie sommitale. « Nous faisons clairement des appartements trop petits. 60 m² est une surface moyenne insuffisante pour espérer des logements décents. Les gens y perdent toute forme de sociabilité. Comment leur donner l'impression de vivre dans 200 m² ? », interroge l'architecte. Selon lui, l'une des solutions consiste à dissocier les balcons des logements en les empilant sur le toit. « C'est dans l'étirement que l'on peut faire quelque chose. » A Grenoble, « ces espaces extérieurs de 35 m² représenteront des pièces supplémentaires en plein ciel qui permettront de recevoir des amis sans troubler l'intimité de l'appartement. » Ils seront desservis par l'ascenseur. Ils disposeront d'une porte d'entrée indépendante et seront dotés d'une cuisine d'été et de commodités sanitaires. « Est-ce que ça marche vraiment de faire monter les gens là-haut ? », s'inquiète une auditrice. « Ca marche à fond ! », répond sans hésitation Edouard François, convaincu par certaines expériences au Panama et au Canada. De toute façon, « sans une part de rêve, l'architecture ne peut pas marcher. » Rendez-vous en 2015 pour la livraison.